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L'Ivresse du sage, comédie en 3 actes, de M. F. de Curel, au Théâtre-Français — Terre inhumaine, drame en 3 actes, de M. F. de Curel, au théâtre des Arts — Les Chercheurs d'or, pièce d'aventures en 4 actes, de MM. J. Richepin et Carco, au théâtre de la Renaissance — Locus solus, 2 actes et 6 tableaux, de M. Roussel, au théâtre Antoine

Référence : MEL_0710
Date : 23/12/1922

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 31e année, n°52, p.497-499
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.26-28, in Dramaturges, Paris : Librairie de France, 1928.
Type : Chronique dramatique
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L'Ivresse du sage, comédie en 3 actes, de M. F. de Curel, au Théâtre-Français — Terre inhumaine, drame en 3 actes, de M. F. de Curel, au théâtre des Arts — Les Chercheurs d'or, pièce d'aventures en 4 actes, de MM. J. Richepin et Carco, au théâtre de la Renaissance — Locus solus, 2 actes et 6 tableaux, de M. Roussel, au théâtre Antoine

M. François de Curel, ayant écrit dans le même temps une bien médiocre comédie et un excellent drame, a choisi de donner l'une au Théâtre-Français et l'autre au théâtre des Arts. Ainsi l'humble scène du boulevard des Batignolles est mieux traitée par le fameux dramaturge que la Maison de Molière où Mlle Piérat, MM. Bernard, Alexandre et Hervé n'ont su, avec tout leur talent, nous rendre agréable cette Ivresse du sage.
Une jeune fille suit des cours en Sorbonne et s'y éprend du maître de philosophie, Trissotin ridicule et prudent qui se récuse d'abord, la croyant pauvre; mais après qu'il a découvert que la jeune personne est l'héritière unique d'un châtelain richissime, il se ravise. Dans le beau château de l'oncle à héritage, la jeune fille est fort séduite par un baron agriculteur qui la compare à une pouliche. Il achève sa conquête en sachant donner le baiser qui convient au moment qu'il faut, cependant que Trissotin achève de se rendre odieux et grotesque en ne pouvant supporter la vue de sa fiancée en chemise et qui s'ébroue dans une pièce d'eau! Voyez-vous la thèse insidieuse, bien faite pour rompre l'union sacrée et pour dresser les jeunes agriculteurs contre les jeunes philosophes! Ceux-là l'emportent-ils sur ceux-ci dans la pratique de l'amour? M. de Curel traite ces sortes de sujets avec une rondeur inimitable. Mais en quels termes assez délicats lui laisser entendre que dans les prairies, où il se persuade qu'un jeune agriculteur trouve des exemples admirables, il n'est rien souvent de si maladroit qu'un étalon, si ce n'est peut-être un taureau? Il oublie enfin ce que l'homme, philosophe ou poète, sait ajouter à un petit geste. C'est trop peu que de dire qu'il l'élargit jusqu'aux étoiles.

Terre inhumaine nous rend, avec tout son génie, l'auteur des Fossiles. En Lorraine annexée, dans une maison isolée qu'habitent une veuve et sa sœur, vient loger une princesse allemande qui désire voir en secret son mari commandant un corps d'armée. Ici nous apparaît la seule invraisemblance du drame: il s'agit d'une maison éloignée de tout village et habitée par une femme dont les autorités ne sauraient ignorer que le fils se bat dans l'armée française. Comment admettre que la maison ne soit pas surveillée? D'autant qu'un avion français a déposé dans la journée un espion sur lequel on n'a pu mettre la main. Et nous voyons en effet pénétrer furtivement dans la petite salle un homme que sa mère reconnaît; —scène émouvante, mais qui dure trop, si l'on songe que la princesse allemande peut, d'une seconde à l'autre, survenir. Elle entre en effet et, comme elle avait feuilleté l'album de photographies, reconnaît le fils de son hôtesse. Il s'agit donc pour le garçon de la tuer avant le jour, s'il ne veut pas être livré par elle et fusillé. Ici, partant d'une anecdote vraie, mais invraisemblable et qui, en temps de paix, risquait de ne pas nous retenir, M. de Curel, en grand classique, atteint le fond humain. Cet homme et cette femme, l'un et l'autre décidés au meurtre, se désirent. L'instinct sexuel, l'instinct de conservation, le patriotisme, la peur, la haine, la faiblesse de la chair et du cœur, rapprochent, séparent et confondent enfin jusqu'à l'aube, dans un furieux amour, les deux adversaires. Et comme, au matin, l'homme hésite à tuer sa maîtresse qui cherche à le livrer, la mère commet le meurtre nécessaire, et, tandis que son fils l'abandonne pour remplir sa mission, elle attend l'heure d'être fusillée, et, assise sur une chaise, récite son chapelet. Mmes Ève Francis et Kerwich, M. L. Gauthier gardent dans le pathétique une admirable sobriété.

Un drame peut donc ne pas relever de l'esthétique “Grand-Guignol”. Pourquoi une “pièce d'aventures comme les Chercheurs d'or serait-elle forcément dépourvue de psychologie? Notre ami Lucien Dubech, à propos de ce nouvel ouvrage de MM. Richepin et Carco, loue, en son compte rendu, l'auteur de l'Homme traqué d'écrire de médiocres pièces et de gagner ainsi de quoi composer à loisir ses beaux romans. L'étrange indulgence! Un artiste ne doit rien signer dont il puisse rougir; et s'il consent à écrire les Chercheurs d'or, que n'y met-il tous ses soins? L'héroïne de cette pièce d'aventures pourrait être de chair et de sang et non une princesse de cinéma. D'ailleurs M. Carco manque de mesure quand il ne veut que plaire au public: il n'est pas donné à tout le monde d'être médiocre. M. Carco ne sait pas être médiocre. Ceux qui vivent du public s'arrangent pour qu'il ne s'aperçoive pas qu'on le traite comme une bête. M. Carco, grâce à Dieu! n'a pas la manière.
Comment raconter un film? Une jeune veuve, fille d'un chercheur d'or, va à la conquête de l'héritage paternel, manque d'être assassinée, est sauvée par un chercheur d'or irrésistible, découvre que son père était un chef de brigands qui a été tué par celui qu'elle aime et que tout de même à la fin elle épousera, etc. La mise en scène est digne du Châtelet, et Mme Cora Laparcerie joue de l'éventail en tout à fait grande dame. MM. HarryBauret Collin méritent d'égales louanges.

Un milliardaire peut tout s'offrir: un théâtre, Galipaux, des costumes de Poiré, Signoret, et surtout la tête du public. M. Roussel a voulu écrire une pièce de fou et n'y a que trop réussi; car les vrais fous ne sont pas gais et sa pièce est en effet sinistre. Mais le public est entré si gentiment dans toutes ses intentions, en poussant des cris, que l'auteur a dû être bien content. Ce n'est pas trop d'un million pour regarder par le trou du rideau le déchaînement des “princes de la critique”. Locus solus ne se raconte pas, n'ayant ni queue ni tête. Il y est question de rails en mou de veau, de wagons en baleines de corsets, d'officiers d'état-major asthmatiques qu'on guérit en soufflant dans leurs aiguillettes... Et il y a là une sorte de frénésie morne dans l'absurde à quoi j'avoue n'avoir pas été tout à fait insensible.

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François MAURIAC, “L'Ivresse du sage, comédie en 3 actes, de M. F. de Curel, au Théâtre-Français — Terre inhumaine, drame en 3 actes, de M. F. de Curel, au théâtre des Arts — Les Chercheurs d'or, pièce d'aventures en 4 actes, de MM. J. Richepin et Carco, au théâtre de la Renaissance — Locus solus, 2 actes et 6 tableaux, de M. Roussel, au théâtre Antoine,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/710.

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