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Beauté, trois actes de M. Jacques Deval, à Marigny - La Gardienne, trois actes de M. Pierre Frondaie, à la Porte-Saint- Martin - L'Imbécile, quatre actes de M. Pierre Bost - La Locandiera, de Goldoni, au Vieux-Colombier - La Journée des aveux, trois actes de M. Georges Duhamel, à la Comédie des Champs-Élysées

Référence : MEL_0723
Date : 10/11/1923

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 32e année, n°45, p.242-246
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.136-139 et p.155-156, in Dramaturges, Paris: Librairie de France, 1928.
Type : Chronique dramatique
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Beauté, trois actes de M. Jacques Deval, à Marigny - La Gardienne, trois actes de M. Pierre Frondaie, à la Porte-Saint- Martin - L'Imbécile, quatre actes de M. Pierre Bost - La Locandiera, de Goldoni, au Vieux-Colombier - La Journée des aveux, trois actes de M. Georges Duhamel, à la Comédie des Champs-Élysées

Je ne saurais traiter ici de tout ce qui se joue à Paris depuis un mois; les directeurs de théâtres n'attendent pas, pour rallumer leurs quinquets, que nous soyons tous revenus des champs; quelques-uns dédaignent aussi d'inviter les critiques des revues dont ils estiment que les comptes-rendus paraissent trop tard pour toucher utilement le public. Mais si je regrette fort de ne pouvoir rien dire des Amants saugrenus de M. Jacques Natanson —jeune étoile dont le front sort brillant des voiles de l'Orient,— je ne saurais songer au Masque de fer, cinq actes en vers de M. Maurice Rostand, que comme à un immense péril évité.
Au reste, j'en ai assez vu pour être sûr que rien n'est changé au théâtre depuis la saison dernière. Les consolations nous viennent toujours des mêmes tréteaux: Vieux-Colombier, Comédie des Champs-Élysées. Ailleurs, c'est toujours la même façon d'être médiocre, ou mauvais, ou exécrable. Qu'ils écrivent une comédie comme Beauté, ou un drame comme la Gardienne, les auteurs d'aujourd'hui offrent ce trait commun que tout ce qui est humain leur est à peu près étranger. Il s'est formé peu à peu, à leur usage, une humanité de théâtre aussi éloignée de l'humanité réelle que le seraient les habitants de la lune. Ils usent tous des mêmes marionnettes et les font mouvoir avec plus ou moins de dextérité. Mais ce qui étonne chez la plupart, c'est leur maladresse: à vingt ans, ils ne savent pas encore cacher leurs ficelles; à cinquante, ils ne s'en soucient plus.

Avec Beauté, M. Jacques Deval avait pourtant trouvé un sujet: celui de l'homme laid dont joue une coquette; et c'est la coquette, à la fin, qui est croquée. Histoire si humaine, que M. Jacques Deval n'arrive pas tout à fait à l'abîmer: il y a quelques bons endroits dans le rôle de la jeune femme que tient Mlle Spinelly avec beaucoup de grâce et de finesse, tout à fait grande coquette maintenant et qui n'a presque plus rien gardé du café-concert où je crois que d'abord elle brilla; elle a même adouci de beaucoup d'huile ce filet de vinaigre qui courait dans sa voix; et sa coiffure second Empire lui donne une grande ressemblance avec les portraits de Mme de Metternich. Donc, au premier acte, pour exciter la jalousie d'un bellâtre qu'elle aime, elle a vite fait d'affoler l'affreux et ridicule astronome. C'est une loi du théâtre d'aujourd'hui, plus respectée que ne le fut au grand siècle celle des trois unités, que les savants sont toujours grotesques et stupides. Honteuse d'avoir fait souffrir cet homme honnête et malheureux, elle s'oblige à le dédommager en l'allant visiter chaque jour dans son observatoire. C'était là le vrai sujet de la comédie, le sujet de la pitié cruelle: rien de si terrible qu'une femme qui s'attendrit sur sa victime, joue à la sœur de charité, verse un baume empoisonné sur les blessures qu'elle a faites. Mais M. Jacques Deval gâche à plaisir une si belle matière et n'en tire qu'un vaudeville sommaire, d'ailleurs assez divertissant. L'astronome exaspéré abuse de la coquette qui, ce soir-là, s'était confiée à lui pour ne point succomber à la tentation du bellâtre. Et le mot de la fin tend à prouver que la violence est encore ce que les hommes ont inventé de mieux pour plaire à des jeunes femmes délicates.

M. Pierre Frondaie a-t-il l'habitude des cours? Les princes et les princesses en exil échangent-ils, comme ses héros, des propos si solennels et d'une pompe si comique? Lui aussi, il avait trouvé un sujet: la sainte princesse Maria-Pia, à Interlaken, veille sur son jeune frère détrôné par les bolchevistes, et prépare la Restauration qui est à deux doigts de s'accomplir. Malheureusement il y a, dans le complot, un beau colonel dont “la sainte de la patrie”, comme on l'appelle, admire excessivement le cheveu bleu-noir et le garrot taurin (c'est M. Grétillat). Comment une fausse sainte, fatiguée d'être sublime, glisse-t-elle au péché? C'est ce qu'il aurait fallu nous montrer et ce qui peut-être nous aurait émus. Hélas! la sainte racée de M. Frondaie relance chez lui son colonel, boit de la chartreuse verte et réclame un air de phonographe. Une aussi grande artiste que Mme Simone s'épuise en vain à sauver cette scène d'une vulgarité pénible. Toute à son amour, elle négligera son petit frère. M. Pierre Frondaie nous montre qu'il a du métier en accumulant les invraisemblances pour que le jeune prince, à la veille de monter sur le trône, demeure seul et livré à un bolcheviste agent qui l'assassine. Le beau colonel, à qui une espionne avait tiré les vers du nez, se fait justice, cependant qu'un évêque comme il n'y en a plus, ramène la princesse au devoir politique.

Le Vieux-Colombier, comme toujours, nous console. L'ambition avouée de M. Copeau est de susciter des auteurs; on ne saurait dire qu'il y ait souvent réussi, et les impatients commençaient de craindre que le bel instrument se rouillât, faute de servir. Voici pourtant l'agréable pièce d'un tout jeune homme, l'Imbécile, fine comédie de paravent, où chaque caractère est dessiné d'un trait net. C'est l'histoire d'un homme mûr qui dérange le jeu d'un jeune camarade, amoureux transi, imbécile et gaffeur. L'homme mûr a toutes les peines du monde à détacher de lui la jeune fille qui commençait de s'attacher, mais qui ne demande pas mieux, à la fin, que d'épouser son lourdaud. Le quatrième acte, qui est ravissant, nous montre, après une visite des fiancés ridicules, la tristesse de l'homme mûr et sa solitude, devant la table de travail. Il arrive un âge où, quand on est aimé, on a le sentiment de bénéficier d'une erreur, et que c'est quelqu'un qui se trompe de porte; il faut alors beaucoup de courage et de sagesse pour éconduire le visiteur tardif. Il est admirable qu'à vingt-deux ans, M. Pierre Bost ait la connaissance d'une vérité si amère.

La Locandiera de Goldoni est une de ces pièces rapides et brillantes où l'on est sûr que la troupe du Vieux-Colombier sera inimitable. Ce sont les acteurs les moins figés de Paris, et cette réputation d'austérité qu'on leur a faite est bien étrange. Goldoni préférait à toutes ses comédies cette Locandiera, écrite en 1753. Mirandolina, hôtelière que tous ses clients et valets adorent, se pique du dédain qu'affecte à son endroit le chevalier de Ripafratta, et s'emploie à le rendre fou d'amour; il ne lui faut que quelques heures. Mlle Valentine Tessier tient le rôle avec la gaieté la plus fine. Cela vaut surtout par le mouvement, par la cocasserie des personnages secondaires qui procèdent encore des fantoches de la foire, mais c'est d'un art moins humain que celui de nos classiques et qui ne passe jamais ses propres limites.

Avant d'aller voir jouer la Journée des Aveux, j'avais lu ce qu'en ont écrit plusieurs critiques et qu'ils s'accordaient à juger cette pièce fort ennuyeuse. Il est incroyable qu'on puisse juger et condamner une pièce comme celle-là du même ton qu'on juge et condamne celles des boulevards. Non que les trois actes de M. Georges Duhamel nous semblent tout à fait réussis. Mais voici enfin un auteur probe, qui a le respect de son art et qui cherche à le tirer de l'ornière. Tchékov l'obsède et c'est peut-être son erreur de travailler à la russe, si j'ose dire, une pâte toute française. Le personnage central de la pièce, savant idéaliste, douceâtre et nigaud, n'est qu'un Russe appauvri, dépouillé de toutes les secrètes richesses dont un Dostoïevsky, un Tchékov l'eussent comblé. Ce savant décide d'enrichir une famille au milieu de laquelle il vit et où il se persuade que règnent la vertu et la joie. Puis il découvre peu à peu que le mari trompe et ruine sa sainte femme, que la fille aînée s'aigrit et souffre, que la cadette ne songe qu'au plaisir: il renonce alors à ses dispositions généreuses, jusqu'à ce qu'il connaisse enfin que, tout misérables qu'ils soient, ces gens s'aiment au fond, se comprennent, se pardonnent, goûtent un pauvre bonheur précaire et d'autant plus précieux. On devine chez M. Georges Duhamel un optimiste qui a dû faire de rudes écoles. Il a cru peut-être à la bonté humaine comme Rousseau, il y croit maintenant comme Dostoïevsky. Aucun écrivain, en France, ne me paraît aussi naturellement chrétien que Duhamel. Ce socialiste pose les problèmes comme ferait un religieux habile à mettre en valeur l'exacte concordance du dogme chrétien avec la réalité. Alors que les pièces gaies nous paraissent si tristes, cette pièce triste est réconfortante; elle enrichit, elle divertit aussi et fait rire: M. Jouvet est un vieux général irrésistible, “entraîneur d'hommes”, qui ne peut plus entraîner ou molester que deux pique-assiette et le jardinier. Dans le rôle de la mère de famille sainte et résignée, Mme Pitoeff montre toujours cette grâce blessée qu'aucune autre artiste ne possède.

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François MAURIAC, “Beauté, trois actes de M. Jacques Deval, à Marigny - La Gardienne, trois actes de M. Pierre Frondaie, à la Porte-Saint- Martin - L'Imbécile, quatre actes de M. Pierre Bost - La Locandiera, de Goldoni, au Vieux-Colombier - La Journée des aveux, trois actes de M. Georges Duhamel, à la Comédie des Champs-Élysées,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/723.

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