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Le Couple, trois actes de M. Denys Amiel au Théâtre Michel - Le Voile du souvenir, trois actes de MM. Turpin et Fournier - Candide, cinq actes de M. Clément Vautel à l'Odéon

Référence : MEL_0725
Date : 22/12/1923

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 32e année, n°51, p.588-590
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Chronique dramatique
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Le Couple, trois actes de M. Denys Amiel au Théâtre Michel - Le Voile du souvenir, trois actes de MM. Turpin et Fournier - Candide, cinq actes de M. Clément Vautel à l'Odéon

Au Théâtre Michel, M. Denys Amiel joue ce jeu dangereux de troubler la digestion laborieuse d'un public encore tout échauffé de homard et d'épices. Au lieu des calembredaines habituelles de ce théâtre, il nous impose trois actes pathétiques mais un peu confus, et nous oblige de résoudre divers problèmes urgents. Un ménage, aussi uni soit-il, ne vit pas impunément dans une société pourrie; c'est pourquoi ses héros se décident à fuir Paris, hélas, déjà trop malades pour avoir le courage de partir seuls; et ils cèdent à la tentation d'emmener un autre couple. Que feraient-ils dès lors, à la campagne, sinon jouer aux quatre coins, et se trahir les uns les autres? Le jeu achevé, M. Denys Amiel se demande et nous oblige à nous demander pourquoi la trahison de la femme ne saurait être mise en balance avec la trahison de l'homme. Dans un second acte magistral où s'opposent les deux douleurs: celle de Mlle Eve Francis, toute de jalousie et d'humiliation, et celle autrement plus tragique de M. Baur, l'auteur est entraîné plus loin qu'il ne voudrait et jusqu'à poser cette question qui rejoint la métaphysique: pourquoi, en dépit de nous-mêmes, le don du corps est-il d'une importance qui nous dépasse? pourquoi ce retentissement presque infini d'une action si ordinaire? La pire utopie du dix-huitième siècle, c'est d'avoir considéré si légèrement ce qu'il croyait n'être que l'échange de deux fantaisies... Mais Denys Amiel a pitié enfin d'un public congestionné et il décide que le bonheur du Couple doit être sauvegardé par le mensonge. Il faut que la femme nie sa trahison, il faut qu'elle mente parce qu'elle sait bien que l'homme ne pardonnerait pas, ou que son pardon ne servirait de rien contre la réalité d'un acte une fois commis et qui l'est pour l'éternité. M. Denys Amiel, aussi habile qu'aucun de ses confrères, nous paraît plus que la plupart soucieux d'atteindre la vérité humaine; depuis la Souriante Madame Beudet, nous savions que son ambition dépasse le succès immédiat; c'est un artiste.
Le Voile du souvenir est une assez bonne pièce de la série qu'il faut bien qualifier série Gaston Baty. Sur tous les tréteaux où sont utilisés les dons admirables de ce metteur en scène, nous sommes sûrs d'être transportés dans d'exotiques pays, et qu'il y aura force simouns, tempêtes de sable, bruits de coulisse à nous faire froid dans le dos. Une jeune fille, qui chante dans des salons à Paris, est réduite par la famine à se réfugier au Maroc, chez un frère dont la femme est une mégère. Par coup de tête, cette étrange jeune fille s'enfuit avec un marchand de cochons. Comme elle lui résiste, il la jette dehors en pleine tempête Baty. Poursuivie par un satyre marocain, dans une longue scène muette comme les adore M. Baty, la pauvre jeune fille doit bien se rabattre sur le marchand de cochons... puis elle apprend qu'elle est lâchée par son fiancé de Paris; sa vie ancienne ne lui apparaît plus embellie dans le souvenir, mais telle qu'elle était réellement, humiliée et misérable; elle essayera donc d'être heureuse avec le bon et grossier marchand de cochons.
M. Clément Vautel, qui n'aime pas Stendhal, adore Voltaire; et c'est pourquoi ce dangereux ami tire une pièce non de la Chartreuse, mais de Candide. Ce n'est point qu'elle ne nous ait paru habile et divertissante; mais pour obtenir une guignolade, fallait-il triturer un chef-d'œuvre? Ici, M. Gaston Baty s'est mis à l'école de M. Balieff et les personnages de carton peint ont paru enchanter la salle.
Que mes lecteurs me pardonnent la brièveté de cette chronique, la dernière que je donnerai ici sur le théâtre: je suis à bout de souffle. Mon successeur, M. Martial-Piéchaud, le romancier que connaissent et aiment les lecteurs de la Revue hebdomadaire, et qui est aussi le dramaturge de Mademoiselle Pascal c'est-à-dire l'un des meilleurs de sa génération, aura sur moi, entre autres supériorités, celle de ne pas s'ennuyer, comme il m'est arrivé trop souvent, dans un fauteuil d'orchestre qui est quelquefois un strapontin. Il faut aimer beaucoup le théâtre pour résister à tant de mauvaises ou exécrables pièces, aux entr'actes indéfinis, aux ouvreuses, aux contrôleurs; il faut l'adorer pour ne pas éprouver à la sortie une impression pénible de vide intérieur... Que de fois, rentrant le soir, ai-je senti le besoin d'ouvrir un livre, de lire quelques pages pour me débarbouiller l'esprit de toutes les niaiseries entendues!

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François MAURIAC, “Le Couple, trois actes de M. Denys Amiel au Théâtre Michel - Le Voile du souvenir, trois actes de MM. Turpin et Fournier - Candide, cinq actes de M. Clément Vautel à l'Odéon,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/725.

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