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"Saint-Paul" par Emile Baumann

Référence : MEL_0730
Date : 05/09/1925

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 34e année, n°36, p.100-103
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Critique littéraire
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"Saint-Paul" par Emile Baumann

Du point-de-vue de l'histoire et de l'art, et en dehors de tout parti pris religieux, nous demeurons persuadé que la croyance au surnaturel est aussi nécessaire aux hagiographes que la négation du miracle leur est funeste. M. Émile Baumann[1], imaginatif puissant, qui croit ce que son héros a cru, ce n'est pas assez dire qu'il peut se mettre à la place de saint Paul; il atteint à vivre dans saint Paul. Le saint palpite, espère, souffre, prie sous nos yeux; l'amour du Christ l'embrase, l'oblige à courir le monde, lui arrache des cris, des lettres, des adjurations; il ne s'endormira qu'il n'ait conquis le monde à son Dieu.
Si le lecteur de M. Baumann n'est pas un croyant, il peut réfléchir à loisir sur cette image de l'apôtre qu'un de ses fils spirituels lui propose, et découvrir seul, sans être gêné par aucun commentaire, une explication rationnelle à tant de prodiges, et en particulier à celui du chemin de Damas. Quoi de plus gênant au contraire (et nous songeons toujours au lecteur incroyant) que les suggestions de Renan ou celles de M. Loisy? Il ne serait peut-être pas difficile de trouver mieux qu'une ophtalmie ou qu'un transport au cerveau pour expliquer ce foudroiement sur cette route. Dès que, dans une hagiographie, nous nous heurtons à un parti pris contre le miracle, mieux vaut fermer le livre. Mais, dira-t-on, l'adhésion au surnaturel n'est-elle aussi un parti pris? Nous répondrons que, croyant ou non, l'hagiographe n'a pas à nous instruire de sa métaphysique particulière; nous lui demandons que son héros vive; nous exigeons de lui qu'il le ressuscite et, pour cela, que les événements nous apparaissent tels qu'ils apparurent aux yeux du saint, tels que le saint lui-même les interpréta. Au lecteur de juger ensuite et de faire œuvre de critique. Nous sommes bien capables d'inventer tout seuls des ophtalmies, des insolations, des transports au cerveau; sinon de nous représenter les conditions dans lesquelles s'élabora la doctrine de Paul. L'essentiel est que l'imagination du lecteur travaille sur une image vivante et non sur des commentaires insidieux.
D'ailleurs, des écrivains non croyants ont souvent agi de cette manière: Sainte-Beuve, dans la plus grande partie de son Port-Royal et, plus près de nous, M. Léon Brunschwig: il n'est pas une note de son édition des Pensées où l'on ne sente l'effort pour comprendre Pascal de l'intérieur. Catholique, M. Baumann s'est tout naturellement incorporé à saint Paul; et d'autant mieux qu'il est, en vérité, son fils spirituel par la véhémence, par la flamme, par cette perpétuelle souffrance de “son corps de boue”, sans laquelle il n'existe pas de véritable artiste.
Le public ne s'y est pas trompé, et l'éditeur du Saint Paul s'étonnait un jour devant nous que cette Vie se vendît aussi bien que l'Europe galante. Nous ne saurions trop recommander aux admirateurs de Baumann de lire sans tarder: Trois villes saintes, la Paix du septième jour, l'Anneau d'or des grands mystiques. C'est la part de son œuvre à laquelle nous adhérons sans aucune réserve. Mais le romancier de l'Immolé nous intéresse aussi, et nous souhaiterions même de lui consacrer une longue étude; car, à son propos, toute la question du roman catholique se pose.
Baumann qui, par ses défauts et par ses qualités, se rattache au naturalisme, a voulu écrire des romans catholiques, c'est-à-dire qu'il a cru pouvoir introduire la grâce dans la trame de ses récits; on y voit partout ce que le peuple appelle le doigt de Dieu; il y mêle à l'observé l'inobservable. Chez un écrivain de qui le don essentiel est de voir le réel, et qui dans l'Immolé, dans la Fosse aux lions, dans le Fer sur l'enclume, dans Job a montré son pouvoir pour atteindre Dieu à travers le réel, nous souffrons pourtant de ces “vues providentielles” et de ces truquages édifiants. S'il nous plaît qu'un converti nous fasse le récit de sa conversion, c'est que nous avons ici le bénéfice d'une expérience particulière, car l'action de Dieu s'éprouve, elle ne s'invente ni ne s'imagine. Hagiographies, récits de conversion, tel est en littérature son domaine, mais le roman de la grâce, nous doutons qu'il puisse exister. Elle est un protagoniste trop mystérieux et ses cheminements, ses ruses nous échappent.
Est-ce à dire qu'il n'y ait pas pour le catholique romancier une façon de servir? Certes, mais qu'il admette d'abord la conformité entre l'homme (unique objet du roman) et le christianisme. Impossible que l'étude approfondie de l'homme ne serve finalement le christianisme: ainsi, arrive-t-il que les auteurs les moins édifiants nous édifient. (Je songe aux personnages de Proust, à cette absence effroyable de Dieu en eux: tous ces êtres pareils à des colombes auxquelles eussent été arrachées les plumes qui leur auraient permis de s'orienter.)
Nous concevons qu'un catholique comme Baumann redoute de scandaliser par la peinture des passions. Mais les sacrifices de ce scrupuleux, dont seul un romancier peut juger le mérite, ne lui ont servi de rien. Il a scandalisé tout de même; et, cette année encore, le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses dénonce le pornographe du Baptême de Pauline Ardel. Quoi que fasse un écrivain comme Baumann, il scandalisera parce qu'il sait voir et qu'il sait peindre ce qu'il a vu. Tartuffe ne jette pas seulement son mouchoir sur le sein de Dorine mais sur tout ce qu'un artiste lui montre; c'est tout le réel, tout le visible, l'œuvre ineffable des sept jours qui l'offusque.
Rendons justice à Baumann: pas plus qu'un Barbey d'Aurevilly ou qu'un Claudel, il n'est homme à subir la loi des faibles; il est de ceux qui ont dénombré la foule immense des jeunes âmes que des nigauds tonitruants éloignent à jamais de la vérité qu'ils défigurent. Que ne se bornent-ils à mettre en garde les enfants et les jeunes filles contre les livres qui ne leur sont pas destinés! Baumann n'obéit qu'à Dieu, qu'à l'Église et qu'à sa conscience, et sans doute saurait-il répondre à nos objections contre le roman apologétique. Reconnaissons que son Saint Paul pourrait déjà l'y aider. Le livre refermé, nous craignons de nous être trop hâtés de prétendre que la grâce échappe à l'observation. Au récit du miracle sur le chemin de Damas, en effet, ce que d'abord nous éprouvons, c'est le sentiment du déjà vu, du déjà connu. Des noms nous viennent aux lèvres: tel et tel de nos amis, de nos camarades, voilà bien la manière dont ils ont rencontré Dieu. La certitude, l'assurance de saint Paul, la sécurité de sa foi, nous la retrouvons chez ceux qui furent comme lui l'objet d'un choix brutal, qui ont été violentés, subjugués, ravis. Dans la foule chrétienne, ceux-là composent une famille reconnaissable à des signes précis. Mais alors s'il existe une psychologie de la conversion, est-il donc défendu d'espérer qu'un Baumann en puisse écrire le roman?
Une distinction peut-être s'impose: un récit où les événements extérieurs s'enchaînent selon une logique providentielle nous paraîtra toujours entaché d'artifice; le Dieu du romancier ne saurait agir, extérieurement, selon des volontés particulières, sauf par un coup de foudre comme à Damas, par un miracle qui justement ne nous semble tel que parce qu'il rompt avec éclat la trame d'une destinée; mais c'est aussi la sorte d'aventure que, selon nous, aucun romancier ne saurait inventer avec vraisemblance. En revanche, peut-être essaiera-t-il avec bonheur de surprendre dans les âmes les préparations, les victoires de la grâce. Le Dieu du romancier, s'il agit par des volontés particulières, que ce soit au dedans des êtres et non dans l'enchaînement des faits. Nous nions qu'on puisse nous montrer sans arbitraire le doigt de Dieu dans les événements, mais nous croyons que cela est possible dans les cœurs. Il y faut pourtant une condition, qui n'est pas commune chez les faiseurs de romans, mais que nous admirons en Baumann: le culte de la vie intérieure, l'aspiration à la sainteté.

Notes et références

  1. Grasset.

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Citer ce document

François MAURIAC, “"Saint-Paul" par Emile Baumann,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/730.

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