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La Vie et la Mort des fées

Référence : MEL_0750
Date : 25/05/1910

Éditeur : Revue Montalembert
Source : 3e année, n°21, p.359-364
Relation : Notice bibliographique BnF

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La Vie et la Mort des fées

[Note : La vie et la mort des fées, essai d'histoire littéraire, par Mme Lucie Félix-Faure-Goyau, 1 vol. in-16. Paris, 1910. Perrin et Ce. ]

Nous recueillons au long de ces pages tant d'émotion et de rêve, que nous oublions les studieuses recherches qu'elles durent coûter. Un conteur érudit, qui est le plus délicat poète, y évoque pour nous le visage terrible et charmant des fées mortes. Avant de commencer la merveilleuse histoire, il se recueille, un instant, et songe qu'à l'heure de réveiller l'âme légendaire de la vieille France, il faut d'abord trouver pour elle une précieuse invocation. Et comme cette âme revit dans les yeux clairs de la mère l'Oye, c'est elle qu'il invoque en un langage fluide, évocateur de forêts chantantes et de lagunes endormies, d'anciens villages français et de pauvres jardins paysans tout fleuris de légendes.
“Mère l'Oye, muse de village surannée et charmante, soit que votre visage ridé et doré par d'anciens soleils s'auréole des mîtres de dentelles chères à nos normandes ou des bonnets arrondis de nos tourangelles, Mère l'Oye qui ne savez pas lire, mais qui demeurez la dépositaire de la culture profonde où s'alimente une race, c'est par vous que les beaux contes vinrent à nous de la nuit des âges, et votre mémoire nous apparaît précieuse comme ces coffres trapus où dormaient les robes couleur du temps et couleur de soleil...
Vous filiez activement de vos mains rèches et fanées comme les feuilles des bois à l'automne. Mais dans la pénombre des mousselines qui vous auréolaient de blanches coiffes, vos yeux étaient plus transparents que de claires fontaines. Vous parliez aux longues veillées d'hiver, assise à côté de l'âtre qui vous éclairait de ses tisons, ou par les crépuscules prolongés de la saison douce, appuyée à la margelle du puits, quand les femmes viennent y chercher de l'eau pour les usages du soir...”
Nous pouvons désormais pénétrer dans le pays du songe et de l'enchantement, dans la vieille Bretagne, d'abord, mystérieuse patrie de l'enchanteur Merlin. Doux enchanteur. que de raisons nous avons de vous aimer! –Vous haïssiez les hommes– ne voulant être consolé que par les étoiles; vous vous laissiez toucher plus facilement que convaincre et ne saviez pas commander à votre cœur...
Voici les romans de la Table Ronde. –Viviane, Lancelot, Morgane, Genèvre– imaginations héroïques et passionnées– troublaient les fileuses inoccupées dans la mélancolie des donjons. Je songe qu'ils émurent aussi un adolescent qui s'exaltait vers l'an 1200 dans la petite ville d'Assise et voulait devenir un chevalier du Graal: “Je sais que je vais devenir un grand prince!” disait à ses compagnons de plaisir, François, cette âme excessive que Dieu avait choisie, pour enseigner au monde les pures joies du renoncement et de la douce pauvreté.
A travers l'épopée carolingienne, les fées sont d'éblouissantes épées: Hauteclair, Joyeuse, Durandal... –beaux noms qui n'émeuvent plus à cause que Bornier les a célébrés dans cette Fille de Roland, dont, au collège, on nous excéda. Cependant que le petit nain vert Obéron danse encore dans les clairières, et qu'au long des poèmes de Marie de France, les fées deviennent des femmes, puisqu'elles savent aimer et souffrir, passons les Alpes avec les chevaliers français. Arrêtons-nous au seuil des jardins enchantés où les fontaines pleurent, où les terrasses élèvent leur blancheur vers un ciel qui ne change pas. L'Arioste et le Tasse les ont peuplés d'âmes violentes, qui boivent passionnément des philtres d'amour et de mort.
Mais d'abord, le conteur songe à nous faire un instant prier et rêver dans l'humble jardin d'un cloître, où les docteurs séraphiques s'émeuvent d'incomparables méditations... Écoutez ce poème en prose:
Certains jardins possèdent une grâce mystique, comme les jardins recueillis des cloîtres qui fleurissent autour d'un vieux puits dans un cadre ogival ou roman dont les fresques prient; jardins étroits et silencieux que des clôtures défendent contre les bruits du monde; où le sourire même du printemps est contenu; jardins qui semblent s'approfondir dans leur écrin d'arceaux et de colonnettes comme pour mieux prendre leur élan vers le ciel. L'odeur de l'encens y flotte sur l'arome des plates-bandes auxquelles on refuse trop d'éclat. Mais nulle part le ciel n'apparaît plus haut et plus magnifique que lorsqu'il plane, enchâssé dans ces pierres que le printemps spirituel des oraisons invite à fleurir. Point de fontaines murmurantes, mais le puits silencieux dont l'eau secrète se garde à l'ombre, éternellement fraîche et pure...
Après cette halte, nous goûterons mieux, par contraste, les fééries compliquées du Roland furieux dont s'enchantèrent les savantes princesses, les cardinaux lettrés, toute cette aristocratie voluptueuse, raffinée et brutale, chez qui l'amour fut toujours le compagnon de la mort. Bradamante, Ablante, Alcine, syllabes qui chantaient dans la mémoire des chevaliers de France revenant d'Italie!
Enfin le Tasse nous va guider dans le palais rond et les jardins de la magicienne Armide, la brûlante amoureuse qui, au bout de ses emportements et de ses délires, trouva Dieu.
Déjà l'ombre des cyprès s'allonge sur les pelouses du merveilleux jardin. Ce siècle d'ardente et cruelle volupté se meurt dans le plus magnifique décor. Et Madame Lucie-Félix-Faure Goyau nous redit cette agonie dans une page émouvante:
...L'heure s'avance, les sérénades meurent au pied des terrasses de myrtes et d'orangers, il ne reste plus que des choses éternelles: la solitude, le silence rythmé par le battement de la rague sur une grève, le pur sourire des innombrables étoiles sur la cime du mont des Oliviers, le tintement d'une cloche lointaine au campanile de quelque monastère, le premier [rougeoiment] de l'aurore au bord d'un ciel où les arbres nocturnes commencent à s'effacer... ceux qui ont lutté, souffert, aimé, pleuré, s'apaisent, guérissent, expient et se consolent...
Repassons les Alpes... car les fées vivent encore dans les provinces françaises. Les paysans les rencontrent le soir, et l'on a peur au long des veillées devant l'âtre. Une chambrière les appelle au Louvre pour endormir le petit Louis XIV, et Monsieur de Cambrai en peuple ses histoires et leur dicte les plus nobles préceptes qu'on puisse offrir aux méditations d'un jeune prince. Mais Charles Perrault va rendre les fées accessibles à tout le monde et désormais nous ne pourrons plus voir une route solitaire dans les bois, sans y voir cheminer le petit Chaperon rouge...

Oh! les tournants des grandes routes,
Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine!...

dit quelque part Jules Laforgue. Aujourd'hui encore nous gardons l'obsession de ces vieux contes –terreur délicieuse de notre enfance– et des soirs où cela nous amusait tant d'avoir peur! –Les fées désormais seront familières, on s'intéresse à elles dans les salons et de belles dames leur prêtent les plus amusantes aventures...
Mais une gloire suprême les attendait. Un homme est venu qui a donné à leur plus humble geste une valeur infinie. Wagner a connu la splendeur de ces vieux mythes qui auraient dû inspirer une littérature chrétienne dont la Renaissance nous a frustrés.
Le prélude céleste de Lohengrin évoque de nouveau les solitudes où les chevaliers du cygne veillent sur le Graal –et dans “l'enchantement du Vendredi Saint” celle que Mme L. F. Faure-Goyau appelle “la dernière fée”: Kundry va courber enfin son front pénitent.
En l'âme tourmentée de Kundry, cette tentatrice, cette séductrice, altérée pourtant de rédemption, combien d'âmes, aujourd'hui, se sont reconnues! Qui ne connaît déjà les mots passionnés qu'elle adresse à Parsifal “Laisse-moi pleurer sur ta poitrine! que pour une heure, je m'unisse à toi; et, même si Dieu me repousse, en toi, je serai rachetée et sauvée!” Mais Parsifal crie vers le Rédempteur –et l'eau baptismale va laver l'âme pécheresse de la dernière fée.
Sans en vouloir dégager le sens chrétien, comme l'a fait si magnifiquement Madame L.-F. Faure-Goyau, Gabriel d'Annunzio commenta jadis dans le feu ce poème de Parsifal et nous révéla cette âme si compliquée, si humaine, de Kundry, pacifiée, humiliée, qui désormais ne voudra plus que servir: “la mélodie de la solitude, la mélodie de la soumission, la mélodie de la purification préparaient autour de son humilité l'enchantement du Vendredi-Saint... La femme fidèle apportait l'eau, s'agenouillait humble et ardente, lavait les pieds de l'aimé: “Servir!” la femme fidèle tirait de son sein un vase de baume, oignait les pieds de l'aimé, les essuyait avec sa chevelure défaite. “Servir!” Parsifal s'inclinait vers la pécheresse, répandait sur la tête sauvage le pur élément. Kundry éclatait en sanglots, affranchie du désir, affranchie de la malédiction...”
Mais la vérité qui jaillit de cette œuvre surhumaine, d'Annunzio n'a pas su l'exprimer, et je la trouve au contraire parfaitement définie aux dernières pages de la vie et la mort des fées: “Le baptême de Kundry et tout ce qui suit ce baptême rayonne, au-dessus des sphères d'erreur et de souffrance, au-dessus même de celles de la fiction, dans les hautes régions de l'amour et du pardon... Les Alcine et les Armide ont moins passionné la curiosité du XVe et du XVIe siècle que Kundry celle de notre XIXe siècle! Elles ne nous donnaient qu'un aspect de la corruption séductrice et somptueuse d'une époque. Mais le XIXe siècle, avec les lueurs de mysticisme qui baignèrent son couchant, se reconnaissait tout entier idéalement en Kundry, comme le XIIIe aurait pu se reconnaître en Béatrice. N'avait-elle pas de l'esprit et du cœur de son siècle, cette pélerine vagabonde qui avait ri de la croix comme une fille de Voltaire –et n'aspirait désormais qu'à pleurer auprès de la croix, comme une pénitente douloureuse, comme l'âme repentante d'un Verlaine.

Tel est ce livre étonnant, où il faut admirer des qualités que l'on a bien rarement l'occasion de voir ensemble. L'érudition y est extraordinaire, et cet article n'en peut donner qu'une faible idée puisque je n'ai pu faire même allusion aux passionnants chapitres consacrés à la féérie des cygnes blancs, à Mélusine, à la féérie polémiste, à la féérie dans l'œuvre de Shakespeare, à la féérie napolitaine, etc. Mais il semble que ces matériaux se soient réunis sans effort, comme au chant magique d'Orphée.
Un poète seul pouvait recueillir et classer dans son herbier des légendes si belles et si douces et ne leur rien enlever de leur douceur ni de leur beauté. Elles ressemblent à des étangs mystérieux sur qui le visage évanoui des vieilles races s'est penché, afin qu'ils en gardent le reflet dans leurs eaux immobiles. Mais il fallait un philosophe pour l'y découvrir et cet érudit qui par miracle est un poète est aussi, comme tous les vrais poètes, un grand philosophe...
Comment ne pas aimer cet essai d'histoire littéraire riche de faits précis, d'idées ingénieuses –et dont nos âmes peuvent s'enchanter, ainsi que du plus émouvant poème?

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François MAURIAC, “La Vie et la Mort des fées,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/750.

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