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L’Équivoque

Référence : MEL_0777
Date : 10/03/1934

Éditeur : Sept
Source : 1re année, n°2, p.2
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet

Description

Critique argumentée de l’esprit de parti exprimé par Ramon Fernandez dans son interprétation à propos des insurrections du 6 février 1934. Mauriac conteste l’interprétation que cet intellectuel, très sensible à l’esprit de la lutte communiste, fait de la manifestation des anciens combattants, des étudiants et de la petite bourgeoise, descendus dans la rue contre les puissances corrompues de l’état. En s’opposant radicalement au "communisme moral" de R. Fernandez, Mauriac revendique l’intérêt du combat spirituel mené depuis longtemps par les forces sociales catholiques au service de la vérité, de la justice et des libertés de la classe ouvrière.

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L’Équivoque

L'esprit de parti n'a jamais rien inspiré de plus étonnant qu'une note de M. Ramon Fernandez dans la Nouvelle Revue Française sur les événements du 6 février: ce que ce critique de gauche nous invite à admirer, à droite, c'est “l'unité que créent naturellement possession et l'intérêt...”!
“La possession et l'intérêt”, voilà donc ce qui avait soulevé ces anciens combattants, ces petits bourgeois, ces étudiants! Et ils n'entraient pour rien dans les manœuvres de la Maçonnerie aux abois! Mon cher Fernandez, vous vous moquez de nous!
C'est contre l'argent volé, ou plutôt contre les puissances de l'Etat mises au service de l'argent volé, que Paris se dressa, le 6 février; et, depuis, nous avons vu pire: ce qui donne toute sa signification à l'assassinat du conseiller Prince, c'est l'aveu public de M. Albert Sarraut, ministre de l'Intérieur, touchant la nécessité de ne pas révéler le nom de la personne qui a remis au policier Bony les talons de chèques, “pour ne pas l'exposer à des représailles”.
L'Etat, lui-même, tremble donc aujourd'hui devant le pouvoir occulte dont il s'est servi, qu'il a servi peut-être, et dont nous, catholiques, nous connaissons le véritable nom.
Non, certes, “la possession et l'intérêt”, mais l'indignation, l’horreur, l'amour de la justice, la passion nationale animent les anciens combattants et la jeunesse de Paris.
Et sans doute un tel mouvement, comme toutes les insurrections, risque-t-il d'être utilisé par des forces moins pures; il est à craindre que certains intérêts se servent de lui et qu'il dévie: c'est ici que les catholiques ont un rôle qu'ils sont seuls à pouvoir tenir; car seuls ils savent que la lutte engagée depuis un mois est d'ordre spirituel.
Dressés contre les voleurs, contre la Maçonnerie et contre le crime, ils ne permettront pas à leurs adversaires de soutenir que les amis de la classe ouvrière sont du côté des voleurs, de la Maçonnerie et du crime.
Mensonge impudent, mais qui trouvera toujours en France des oreilles crédules. Voyez le cas de M. Frot. Ce socialiste S.F.I.O. abandonne son parti et s'inscrit chez les radicaux. Là, pendant des mois, il fait en vain des avances à des députés de la droite; ayant échoué, il retourne encore sa veste, pour devenir enfin l'homme du 6 février. Eh bien! en dépit de ses palinodies, de ses trahisons et du sang versé par lui, il commence déjà à faire figure de martyr: la Ligue des Droits de l'Homme a fêté dimanche, à Montargis, cet ami des pauvres, et la foule applaudit ce citoyen vertueux et persécuté!
Nous qui sommes entrés dans un combat spirituel dont la portée dépasse infiniment les courtes vues des politiciens, nous devons dépenser tout notre effort à détruire cette équivoque. Et d'abord, nous ne mettrons pas sur le même plan l'armée des ténèbres, que les loges, d'obscures forces policières ont mobilisée contre le pays, —et les foules abusées qu'hélas! nous trouverons un jour peut-être, en face de nous.
Avec un redoublement d'activité, durant ces troubles, toutes les forces sociales du catholicisme doivent s'employer au service de la classe prolétarienne. Nous ne devons point permettre aux politiciens de détourner l’attention des crimes inouïs qui stupéfient l’opinion, en criant au complot contre les libertés ouvrières.
Certes, s'il existait, ce complot, nous serions les premiers à le dénoncer. Nous complotons, sans doute —mais contre un pouvoir occulte dont Fernandez ignore la puissance, parce qu'il ne croit pas au surnaturel. Quoi qu'il doive advenir, que chaque catholique, dans son humble sphère, s'attache à remplir sa mission temporelle —(car, de gré ou de force, nous avons tous aujourd'hui une mission temporelle)— qu'il dénonce le mensonge, de quelque côté qu'il vienne, et qu'il s'efforce dé garder intact dans son cœur —fût-ce au milieu des flammes de la guerre civile— le secret d'amour qu’il a reçu du Christ.

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François MAURIAC, “L’Équivoque,” Mauriac en ligne, consulté le 18 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/777.

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  1. MICMAU_Sept_1934_03_10.pdf