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Un jeune catholique m’a dit

Référence : MEL_0778
Date : 26/10/1934

Éditeur : Sept
Source : 1re année, n°35, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet

Description

Avant la manifestation parisienne du 28 octobre, qui rassembla une grand nombre d’associations et de fédérations de la jeunesse (estudiantine et ouvrière) chrétienne et catholique, Mauriac recueille la parole d’un étudiant catholique. Ce denier lui fait part de son sentiment de solitude, alimenté, d’un côté, par les hypocrisies, le manque de justice et de charité de certaines institutions catholiques, et de l’autre, par les insultes et les attaques en provenance des tenants du matérialisme communiste. Le grand rassemblement du 28 octobre constitue selon Mauriac l’occasion pour cette jeunesse de prendre conscience dans leur diversité de leur unité spirituelle profonde.

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Un jeune catholique m’a dit

Nous connaissons assez souvent —nous, les vieux— le supplice de l'interview et ses trahisons (le mois dernier encore, un débutant journaliste qui m'avait juré ses grands dieux de me soumettre son travail et qui s'en est bien gardé, me prêtait, dans un hebdomadaire, des propos ineptes...) oui, nous avons été assez souvent trahis, pour avoir le droit d'intervertir les rôles: Je suis donc allé, à mon tour, interroger un jeune universitaire catholique, de droite... mais je l'ai fait avec conscience et me porte garant de l'exactitude des propos, qu'il tenus, en cette rentrée lugubre:
“Le drame des gens de mon âge, c'est la solitude, me dit-il. Avec un Bloy, un Péguy, un Rivière, nous aurions eu bien des choses en commun. Peut-être que la mort nous cache ce qui nous aurait séparés, et qu'en revanche la vie nous rend sensible ce qui nous sépare, aujourd'hui, de X... ou de Y... plus que ce qui nous unit à eux.
Le fait est là: nous sommes seuls. Dans un moment où le drame spirituel se joue peut-être définitivement (autant que l'humain est définitif) pour toute une part de l'Occident, nous nous sentons infiniment misérables parce que nous sommes jeunes, petits, seuls.
Le cas d'un Mounier, je le comprends chaque jour un peu plus; et aussi celui de quelques jeunes démocrates-chrétiens... D'un côté, un grand corps d'Ordre où l'on défend la famille, la religion, la pairie, mais à l'abri duquel on cache tant de “nœuds de vipères”. Et puis, en face, des hommes qui attaquent et insultent tout ce que nous considérons comme l'essentiel de l'être humain; la foi au dépassement de l’homme, la nécessité du surhumain, l'élévation de l'humanité par son renoncement; mais qui attaquent tout cela avec tant d'ardeur qu'on dirait venu —après le temps du héros, celui du saint et celui du bourgeois d'affaires— ce temps de l'héroïsme prolétarien dont parlait Georges Sorel.
Sans doute leur mystique est celle du rabaissement de l’homme, mais ils en ont une et ils savent lui faire des sacrifices. Pour elle, ils savent accepter l'effort, la discipline, la mort même. Ils arrivent presque à masquer l'égoïsme profond de ce déchaînement matérialiste des individus, en exaltant d'abord un bonheur commun, une joie de tous qui rappellent, avec une ironie terrible, notre bien commun et notre joie parfaite selon saint François.
C'est la chrétienté, tout entière qu'il faut opposer au communisme et c’est elle seule qu’on y peut opposer. Il ne faut pas qu'elle confondre avec ce monde bourgeois tout replié sur la jouissance, sur la possession, sur la conservation, à un moment où il s'agit de se battre et de reconquérir. C’est un fait que le catholicisme, à cause des partis de droite, ne “rayonne” pas la justice, la charité... Et cependant c'est un autre fait qu’à droite, avec souvent beaucoup de courage et de charité personnelle, on défend ce que nous voulons aussi défendre...”
Un commencement de réponse aux exigences de ce jeune catholique sera donné, dimanche, à Notre-Dame. Vous vous sentez seul, perdu? Groupez-vous... d’abord corporellement, si j'ose dire, sans vous demander si vous venez de gauche ou de droite. Les jeunesses du monde entier ont un besoin du coude à coude que notre génération ignorait... ou du moins (car nous abusons du droit de parler au nom de notre génération) que, pour mon compte, je n'éprouvait guère à vingt ans: au contraire, je tendais à me mettre à part, à m’isoler du troupeau. Mais c'est vous, jeunes hommes d'aujourd'hui, qui avez raison. C’est vous qui obéissez à l’exigence du Christ sur ses amis. Il voulait qu’ils fussent un comme son Père et Lui sont un.
Et tel est le sens profond de cette manifestation du 28 octobre: jeunesse ouvrière chrétienne, jeunesse étudiante chrétienne, jeunesse catholique, fédération des étudiants catholiques, routiers scouts de France, patronages, etc., pour la première fois vont serrer les rangs. Ces garçons prendront conscience à la fois de leur multiplicité et de leur unité.
Réunis autour de votre Roi ou plutôt en Lui, vous éprouverez que rien d'essentiel ne vous sépare les uns des autres. Le programme que j’ai entre les mains résume parfaitement l'œuvre poursuivie: “un même maître: le Christ, une même équipe: l'Eglise, une même solution: l'Evangile, un même travail: le Monde, de mêmes frères: tous les hommes”.
Sans doute le jeune catholique que j'interrogeais, aurait aimé que fût ajouté: “une même prédilection: la France...” Cela va sans dire? Je pense au contraire avec lui qu'il serait urgent de le dire et de répéter, à cette heure confuse et triste où jamais le sort de l'Europe ne fut si étroitement dépendant du destin français... Dimanche, sans respect humain, nous prierons aussi pour la France.

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François MAURIAC, “Un jeune catholique m’a dit,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/778.

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  1. MICMAU_Sept_1934_10_26.pdf