Mauriac en ligne

Search

Recherche avancée

La Sainte enfance

Référence : MEL_0780
Date : 14/12/1934

Éditeur : Sept
Source : 1re année, n°42, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
Version texte Version texte/pdf Version pdf

La Sainte enfance

Si nous avons été un enfant chrétien, Freud restera sans pouvoir sur nous; à toute sa science, nous opposons une certitude: pendant des années notre ange a vu la face du Père, et c'était à nous qu'il fallait ressembler pour être sauvé.
Les petits enfants d'avant le Christ étaient-ils tout à fait semblables à ceux qui sont nés après sa venue? L'enfance humaine portera jusqu'à la fin des temps le reflet de l'Incarnation. Qui a jamais vu un petit dans les bras de sa mère sans adorer l'image du Dieu qui nous est né?
Il n'est .pas jusqu'aux étables... Je me souviens que lorsque j'entrais dans l'ombre chaude et saturée d'une odeur puissante, et que je voyais l'œil énorme des bœufs où buvaient les mouches, et la crèche mystérieuse, mon cœur débordait de tendresse pour le petit Enfant invisible.
Qu'il est difficile d'imaginer une enfance qui n'ouvre pas sur le ciel! Et pourtant Jésus est aussi présent dans les petits sans-Dieu. Eux ne jouissent pas de lui, ne savent pas qu'il est là... Ils le reflètent à leur insu.
Beaucoup d'enfants sont capables de dépasser les impressions de joie, le ravissement de Noël. Malades et au seuil de l'éternité, ils prononcent parfois des paroles surprenantes. Mon neveu Bertrand Gay-Lussac, qui avait été un joyeux et violent petit garçon, peu de jours avant sa mort interrompait ses plaintes pour dire: “Mon Dieu donnez-moi la force de supporter mes souffrances; il y en a tant qui ont plus souffert que moi. Je ne refuse pas de souffrir davantage...” Il avait treize ans.
C'est la lettre du catéchisme qui souvent reste morte pour eux. Mais ils savent plus de choses qu'ils n'en comprennent et surtout qu'ils n'en comprendront plus tard.
Ces figures émerveillées autour d'une crèche se transformeront en races mornes et sournoises. Ces visages ouverts deviendront des visages masqués.
Ce ne sera pas trop de toute une vie pour enlever ces masques un à un, arracher le dernier, collé encore à notre figure, retrouver enfin ce visage d'enfant que nous devons avoir pour mourir. Parfois l'enfant enseveli sous la couche épaisse des années et des crimes pousse un cri d’une pureté si déchirante que le monde l'entendra jusqu’à la fin des temps: Rimbaud, Mozart.
Les cantiques de Noël, le chant de l’ Adeste: d'une douceur presque insupportable. Ne pas trop se fier à ces larmes: “Je ne yeux point d'une ferveur qui se répande dans les sens; prenez garde à vos larmes.” C'est une dure parole de Saint-Cyran, que n'approuve peut-être pas l'Enfant de la crèche. Ce que notre mère nous disait du temps de nos grands chagrins, il nous le répétera pendant la nuit de Noël: “Pleure! Ne te retiens pas de pleurer.”
L’homme pécheur garde-t-il devant Dieu le bénéfice de son enfance pieuse? L'enfance est-elle un bien inaliénable? L'enfant que nous fûmes est plus nous-même peut-être que l'homme grimaçant venu après lui. Cette avance de pureté, au départ, nous a a été concédée. Cette réserve sur laquelle nous vivrons... Malheur à qui en dissipe la dernière goutte!
Quand des hommes nous irritent ou nous font horreur, pensons à l’enfant qu'ils ont été.

Apparement vous ne disposez pas d'un plugin pour lire les PDF dans votre navigateur. Vous pouvez Télécharger le document.


Citer ce document

François MAURIAC, “La Sainte enfance,” Mauriac en ligne, consulté le 25 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/780.

Transcribe This Item

  1. MICMAU_Sept_1934_12_14.pdf