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Cas de conscience

Référence : MEL_0784
Date : 24/05/1935

Éditeur : Sept
Source : 2e année, n°65, p.2
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
Version texte Version texte/pdf Version pdf

Cas de conscience

Les excès du racisme en Allemagne font horreur à un catholique. Certains problèmes ne s’en trouvent pas moins posés que nous avons tendance à éluder, mais qui, aujourd'hui, ne peuvent plus demeurer sans réponse.
Un chrétien atteint d'un mal héréditaire doit-il, en conscience, renoncer à fonder une famille? Car si la stérilisation est à nos yeux un crime évident, il n'en va pas de même d'un renoncement voulu; et nous nous rappelons la parole du Christ sur ceux qui se font eunuques en vue du royaume de Dieu. Il ne s'agit pas ici de porter atteinte à l'intégrité du corps, mais seulement de considérer le mal transmissible aux descendants comme un signe, comme un rappel à la vie héroïque.
A quoi un malade qui ne se sent pas la vocation du célibat me répondra que c'est là raisonner en homme de peu de foi et que même un lépreux a le droit de transmettre la vie, car le seul fait d'exister est une suffisante grâce et aucune menace de tare physique ne saurait contrebalancer le bonheur de posséder une âme immortelle.
Pour le chrétien, exister apparaît comme la grâce des grâces; et sans aller jusqu'à dire avec Pascal que la maladie est l'état naturel du chrétien, il est vrai qu'elle l'aide à se conformer au Christ. C'est déifier la race que de lui sacrifier l'existence de millions d'êtres qui, pour être chétifs, n'eussent pas eu un moindre droit au litre d'enfants de Dieu. Sélectionner comme des animaux dont la destinée n'a pas de prolongements au-delà de la mort, des créatures pour qui la terre n'est qu'un passage, il ne saurait y avoir de pire attentat contre le Créateur.
Et sans doute ou invoquera les répercussions des misères du corps sur l'âme. On objectera que les être tarés courent aussi le risque de devenir des êtres perdus. La damnation héréditaire! Aucun catholique n'en pourrait supporter l'idée. Mais elle ne faisait pas peur à un janséniste, et M. de Saint-Cyran se félicitait en ces termes de la mort en bas âge de sa propre nièce: “Il arrive rarement qu'un seul se sauve dans une grande et nombreuse famille, et la succession des damnés de l'autre monde est quelquefois, de père en fils, aussi longue que la durée de la famille: ce qui arriva presque toujours dans les maisons des riches, et peut-être nuls ne se sauveront, s'ils demeurent dans le train du monde, que ceux qui meurent en bas âge.” Il est vrai que dans cette hypothèse peu consolante du farouche abbé, ce ne sont pas les tares physiques, mais la fortune et le luxe qui, en se transmettant, vouent toute une race à l’enfer.
Nous ne sommes pas de ceux qui croient qu’il existe des rapports constants entre la maladie et la sainteté (non plus qu'entre la maladie et le génie). La sainteté exige le plus souvent beaucoup de force physique et d'équilibre. Mais enfin, il est évident que la débilité du corps coïncide parfois avec la puissance intellectuelle, comme avec la sainteté. Et si la République n'a pas besoin de savants ni même de romanciers, elle ne peut se passer de saints.
Adversaires déterminés de l'eugénisme raciste, nous pensons que les catholiques doivent être au premier rang (et ils le furent toujours) pour travailler au perfectionnement physique de la racé. Il est d’ailleurs impossible de défendre les âmes sans défendre en même temps les corps. Les vices: voilà les grands pourvoyeurs de la maladie, et la racine du mal ne réside pas seulement dans la chair, elle réside aussi dans le cœur. Le véritable eugénisme ne consiste pas à stériliser les corps, mais à purifier les cœurs. Une sainte vie selon le Christ retentit sur toute une descendance. C'est la débauche qui empoisonne une race et c'est le Christ qui la guérit.

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François MAURIAC, “Cas de conscience,” Mauriac en ligne, consulté le 24 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/784.

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  1. MICMAU_Sept_1935_05_24.pdf