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La conjuration des forces adverses

Référence : MEL_0787
Date : 15/11/1935

Éditeur : Sept
Source : 2e année, n°90, p.2
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
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La conjuration des forces adverses

Le 11 novembre 1935, nous devons nous interdire toute éloquence, nous garder de tout lyrisme et réfléchir sur les événements qui nous pressent. Que leur caractère tragique ne nous détourne pas d'être attentifs à la leçon qui s'en dégage. Et d'abord, les vieilles positions de droite et de gauche se trouvent définitivement bouleversées. Sans y apporter aucune passion politique, ni aucun parti pris de dénigrement, nous pouvons considéré comme acquis deux points essentiels:
1° L'arme redoutable qu'Hitler est eu train de forger, oblige la Russie des Soviets à reprendre la politique des Romanov, la politique de Delcassé. Pourquoi s’indigner? La Russie obéit à l'instinct de conservation. Un communiste reconnaissait, devant moi, l'autre jour, qu'en France, le Front Commun est essentiellement, à l'insu de la plupart de ses membres, une mobilisation pour la défense des Soviets. Il existe d'ailleurs, au Gouvernement et à l'Etat-Major de l'armée, des voix autorisées qui affirment que cette politique est conforme à l'intérêt de la France. Pertinax, en réponse à certaines accusations, déclarait récemment dans l’ Echo de Paris qu'il n'avait soutenu l'alliance russe qu'avec l'approbation des représentants qualifiés de l'Etat-Major. Et le 5 novembre encore, dans le même journal, Henri de Kérillis glissait, dans son article, cette parenthèse: “Autrefois, quand après avoir pris conseil du Grand Etat-Major militaire, nous nous sommes ralliés à l'idée d'un rapprochement franco-russe...” Quoi qu'on puisse penser à ce sujet, et quoi que prétendent leurs chefs, c'est l'évidence même que les forces de gauche aujourd'hui ne travaillent pas pour la paix. Contre Hitler, contre Mussolini, la guerre est en quelque sorte sanctifiée à leurs yeux. Elle devient croisade.
2° Le conflit italo-éthiopien a démontré que beaucoup de patriotes, dont la bonne foi n'est pas en cause, mettent leurs préférences idéologiques au-dessus de l'intérêt le plus évident du pays. La campagne contre la Société des Nations et contre l'Angleterre comporte pour la France un risque trop grave pour ceux qui la mènent puissent se faire aucune illusion. Mais la passion mussolinienne les entraîne, comme la passion pour les Soviets entraîne leurs adversaires. Au cas où les sanctions nous eussent engagés dans un conflit avec l'Italie, l'objection de conscience aurait fleuri du côté où elle suscitait, hier encore, le plus d'horreur. Il ne s'agit pas d'ailleurs, ici, de s'indigner: tous les conflits de conscience doivent être considérés avec respect; il ne faut pas s'indigner, mais s'instruire.
Presque toute la droite repousse l'instrument que l'Angleterre veut forger à Genève, celui-là même que Tardieu réclamait, parce qu'il ne vise plus l'Allemagne, mais l'Italie —sans vouloir tenir compte que demain, au cas d'une attaque allemande, là résiderait peut-être notre plus sur garant. (J'écris “peut-être”, car le risque demeure d'une Angleterre interprétant à son gré les événements et usant de plusieurs poids et de plusieurs mesures.)
Où sont donc les véritables défenseurs de l'intérêt national? Chez ceux, qui ne subissent aucune consigne, qui ne prennent le mot d'ordre d'aucun parti et que la vérité rend libres. Nous voyons maintenant ce qu'il faut penser du pseudo-conflit entre ce qui est dû à Dieu et ce qui est dû à la Cité. Alors qu'autour de nous existe une aveugle conjuration des forces antagonistes, en faveur d'une politique redoutable, nous savons ici qu'en demeurant fidèles au mot d'ordre de Jeanne d'Arc: Dieu premier servi, nous sommes assurés d'être, du même coup, les bons serviteurs de la France.

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François MAURIAC, “La conjuration des forces adverses,” Mauriac en ligne, consulté le 20 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/787.

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  1. MICMAU_Sept_1935_11_15.pdf