Organisation de la Charité

Il est irritant de voir l'immense charité catholique s'éparpiller en une multitude d'œuvres secondaires, alors que réglée et dirigée sur un objectif précis, elle pourrait transformer la dure condition des ouvriers et des étudiants.
Un écrivain sollicité, chaque jour, pour des ventes de charité, qui ne s'interrompt pour ainsi dire jamais de signer des livres et de faire des paquets, occupe la place qu'il faut pour juger de cet éparpillement absurde, pour faire le compte de ces mille sangsues attachées au corps catholique et qui épuisent. II lui arrive, après avoir consenti à la besogne abrutissante et humiliante de signer des hommages au premier venu (j'ai écrit un jour une dédicace particulièrement chaleureuse à un gentleman qui m'a confié, aussitôt après, qu'il venait d'achever ses dix ans de bagne!) il lui arrive d'entendre cette réflexion:
— Et maintenant, il s'agit de faire connaître notre œuvre, de lui trouver des clients...
Beaucoup de ces œuvres ne naissent donc pus d'un besoin réel: elles doivent l'existence à ce don de l'organisation, et surtout au goût de présider qui n'est pas incompatible, chez certaines personnes, avec les plus hautes vertus chrétiennes.
Ces séances de signatures auxquelles un écrivain digne de ce nom ne se résigne qu'au prix d'un effort très méritoire nous attirent aussitôt des réclamations et presque des sommations de la part de dames irritées, qui voudraient nous y soumettre à leur gré et qui n'imaginent même pas qu'il puisse exister pour nous d'autres moyens de faire la charité que de vendre notre écriture. Et sans doute beaucoup de ces ventes se font au profit d'œuvres très belles et très nécessaires. Ce que nous demandons, c'est qu'une hiérarchie soit établie entre elles, c'est que l'exploitation des ressources catholiques ne soit pas livrée au hasard. Qu'il y aurait à dire sur ce sujet, si on ne craignait de peiner de saintes âmes!
Il n’empêche que, durant ces mois noirs, nous devons nous efforcer d'unifier nos efforts, de centraliser nos ressources. Nous croyons que le problème de la misère pourrait être on grande partie résolu, et résolu par nous Catholiques, si nous n'agissions pas en ordre dispersé. Sept, dont la raison d'être est de remonter les courants, voudrait travailler dans ce sens et rallier les bonnes volontés dans un effort unique. Il faudrait qu'il se produisit, du côté catholique, ce que nos adversaires appellent une “manifestation de masse” contre la souffrance imméritée des étudiants et des ouvriers. Voyez ce que la seule organisation des “Croix de Feu”, uniquement parce qu'elle est dirigée cl disciplinée, a pu réaliser pour la distribution des soupes populaires. Et bien que je n'aie aucun goût pour les méthodes de l'Armée du Salut, son exemple aussi doit être médité: la secte la plus décriée naguère, dans les pays latins, a su y conquérir un grand prestige.
Certes, nous n'avons rien à lui envier, et le miracle de la charité catholique dure depuis tant de siècles, et sous des formes si diverses qu'on ne le voit plus. Dans la rue, une Sœur de Saint-Vincent de Paul, une petite Sœur des Pauvres ou de l'Assomption ne fait plus se retourner personne. Il n'empêche qu'il y a en ce moment même, une place à prendre, ou plutôt, une œuvre à accomplir, vis-à-vis des chômeurs et des étudiants, qui ne peut être réalisée que par nous, qui nous revient de droit, à nous dont le Dieu s'est identifié avec les pauvres, s'est enseveli en eux.
Au sujet des étudiants, il faut nous rappeler la dure condition qui leur est faite. Un décret-loi au moins aurait dû être abrogé: celui qui a trait aux droits universitaires. A cause de cette mesure, au Quartier latin, le nombre s'est accru des jeunes Français qui ne mangent pas à leur faim.