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Le Minotaure

Référence : MEL_0791
Date : 10/01/1936

Éditeur : Sept
Source : 3e année, n°98, p.2
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
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Le Minotaure

“Ce que le monde demande aux chrétiens, écrit Jacques Maritain dans sa lettre sur l’indépendance, ce qu’il attend d’eux, c’est de se jeter tout entier comme une force d'appoint dans les armées de colère constamment mobilisées par ses contradictions, et qui le ravagent, et qu’il aime. Le monde, bien pensant ou mal pensant, le monde de la conservation sociale ou le monde de la révolution, le monde attache sur les chrétiens son triste regard de Minotaure…”
Mais si le chrétien qui refuse de se laisser dévorer est un homme séparé du monde par sa vocation, le Minotaure lui dénie le droit d’entre dans un débat qui appartient au temps: “Votre affaire, crie-t-il au moine, c’est l’Eternité!”.
Sans doute… Mais les religieux croient que la partie qui se joue dans l’ordre temporel engage l’éternité d’un grand nombre d’âmes. C’est l’exigence même de ces âmes qui détermine la vocation sociale des religieux. Les chrétiens laïques se tournent vers eux, comme les seuls qui puissent dominer absolument le débat.
On parle beaucoup, et depuis longtemps, de la collaboration des clercs et des laïques dans l’Eglise. Elle est relativement aisée pour tout ce qui touche à la charité et aux œuvres de miséricorde, mais devient très délicate lorsque les principes sont en jeu: rien ne peut faire que dans l’Eglise catholique il n’y ait, d’une part, les enseignants, d’autre part, les enseignés. Un prêtre qui dirige un cercle d’études, par exemple, a beaucoup de peine, je l’ai toujours constaté, à laisser se développer la discussion librement, à permettre à chacun d’aller jusqu’au bout de sa pensée. Il me semble qu’à Sept, sans changer les rôles, sans les intervertir, nous avons réussi une mise au point de cette collaboration tant désirée.
L’inappréciable bienfait des religieux qui dirigent Sept, c’est d’avoir groupé des chrétiens qui, s’ils étaient restés seuls, eussent fini, comme la chèvre de M. Seguin, par être dévorés. Car le Minotaure a un complice en chacun de nous, un homme prêt à s’enrôler, à mettre un brassard, à suivre un cortège et à se précipiter en hurlant La Marseillaise ou L’Internationale dans “le ventre ténébreux” du monstre.
Et sans doute nous reconnaissons aux catholiques le droit de s’inscrire dans tout parti ou ligue “dans le programme, selon la formule de Civis, dans La Vie Intellectuelle, ne serait pas en opposition formelle avec les exigences de l’esprit chrétien”. Mais un esprit non prévenu doit se réjouir de ce qu’il existe désormais, grâce aux fondateurs de Sept et de La Vie Intellectuelle, un point de ralliement pour les chrétiens soucieux de voir clair, pour ceux qui croient que le Christ étant la Lumière venue en ce monde, c’est dans cette Lumière que toutes les questions, même sur le plan social et politique, se posent devant leur conscience. Nous ne croyons pas plus malins que les autres: nous savons que, seuls, nous risquerions de céder à ces mouvements confus que le Minotaure a tant de moyens de déchainer en nous.

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François MAURIAC, “Le Minotaure,” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/791.

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  1. MICMAU_Sept_1936_01_10.pdf