L'éternelle question
Date : 10/12/1937
Éditeur : Temps présent
Source : 1e année, n°6, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.123-124, in Journal III, Paris : Grasset, 1937.
Repris p.260-261, in Œuvres complètes, XI, Paris : Fayard, 1950-1956.
Repris p.965 et 1428-257, in Œuvres romanesques et théâtrales complètes, 3, Paris : Gallimard, 1978-1985.
Type : Billet
Description
L'éternelle question
Un jeune journaliste catholique me confiait son inquiétude au sujet d’Asmodée: il ne croyait pas que l’audition de cette pièce à la radio pût être recommandée. Je l’ai rassuré: c’est sa mission que de mettre en garde les parents contre ce qui ne s’adresse ni aux enfants, ni aux jeunes filles. Et c’est le cas d’Asmodée.
Mais, entre les œuvres dont le but est de moraliser ou d’instruire, et celles qui s’adressent à ce qu’il y a de pire en nous, il faut admettre qu’il en existe d’autres qui ont l’ambition d’atteindre l’humain. Dans la société catholique à laquelle nous travaillons, n’y aura-t-il de place que pour une littérature d’édification?
L’article de Daniel-Rops, paru ici-même, et celui dont on m’annonce la prochaine publication dans les Études devraient donner tout apaisement à mon jeune confrère. Il est évident que nul ne saurait prévoir ce que la rencontre d’une œuvre dramatique éveillera dans chaque spectateur. Mais on en pourrait dire autant des textes les plus saints. Tout est entre les mains de Dieu, et nos ouvrages aussi, et il est maître de régler, si j’ose dire, leur retentissement dans chaque conscience.
Nous sommes dans le monde, dans un monde criminel mais pénétré de grâce: le drame nous arme d’avance, nous met en garde contre tout ce qui en nous, autour de nous risquerait de déchaîner le crime, de vaincre la grâce. Il me semble que des catholiques ont beaucoup à apprendre de Blaise Coûture, le héros de ma pièce: Ce reste, la grâce retirée, dans un être qui a perdu la foi et la charité, d’une formation chrétienne, et comme la convoitise profite et s’enrichit de ce dont Dieu a été frustré, voilà ce qu’illustre ce personnage sinistre.
Une œuvre qui inquiète, qui trouble peut-être, ne doit pas être condamnée pour cela seulement. Il existe une bonne inquiétude, un trouble salutaire. Ce serait mensonge et folie que de faire croire à ceux qui nous lisent que nous vivons dans un monde rassurant.