Gide et Vendredi
Date : 31/12/1937
Éditeur : Temps présent
Source : 1e année, n°9, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.170-171 in Cahiers André Gide 2 : Correspondance André Gide-François Mauriac 1912-1950, Paris : Gallimard, 1971.
Type : Billet
Description
François Mauriac défend André Gide contre ses amis de Vendredi qui l’accusent de dilettantisme pour la façon dont il a rendu compte de son voyage en URSS. Il prévoit même que la vision du stalinisme qui s’en dégage sera bientôt partagée par ceux qui le critiquent.
Gide et Vendredi
Une question débattue par des hommes de lettres, des “intellectuels”, n’en devient pas plus claire! Vendredi publiait récemment une lettre ouverte à André Gide. Il s’agissait de son attitude à l’égard des staliniens. Or, il était question, dans cette lettre, du dilettantisme de Gide, du soin qu’il a de sa biographie, de son goût pour la sincérité qu’il confond avec la vérité; il était question de beaucoup d’autres choses fort subtiles, sauf de l’essentiel et qui se ramène à ceci: André Gide, ami des communistes, a fait, durant son voyage à Moscou, un certain nombre d’observations qu’il a consignées dans deux petits livres. La plupart ont été reconnues exactes par les intéressés eux-mêmes.
Que Gide réagisse à sa manière, devant ces faits, et que ce ne soit pas celle de Vendredi, n’enlève rien de leur gravité. Le vrai est que la réaction de Gide à Moscou ne fut pas particulièrement “gidienne”. Ce fut celle de tout homme né chrétien et Français.
Et je sais bien que Guéhenno, que Chamson pour qui j’ai de l’estime et de la sympathie, sont aussi nés Français (et même chrétiens et plus qu’ils ne l’imaginent!). Mais ils sont presque les créateurs de la mystique Front populaire; ils en demeurent les derniers croyants; leur dieu n’est déjà plus que poussière, et ils en embrassent encore l’autel, étroitement…
Il n’empêche que dans le dernier numéro de Vendredi paraissait un commentaire douloureux de Moscou; et je ne crois pas être mauvais prophète en annonçant à Guéhenno, à Chamson: avant six mois, les garçons que vous êtes ne jugeront pas Staline et ses méthodes autrement que ne le font Gide, Bergery ou Galtier-Boissière. Et déjà peut-être, dans le secret de leur cœur…