Pour Israël
Date : 11/02/1938
Éditeur : Temps présent
Source : 2e année, n°15, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Repris p.63-64, in Mémoires politiques, Paris : Grasset, 1967.
Type : Billet
Description
Pour Israël
La conférence de Jacques Maritain, à laquelle je regrette amèrement de n’avoir pu assister, ne sera pas répétée et je le déplore: s’il est un drame qui exige notre intervention, c’est bien celui qui, dans le monde entier, dresse contre Israël une telle vague de haine.
La question n’est pas de savoir ce que nous pensons des Juifs en tant que Juifs, pas plus que des Auvergnats en tant qu’Auvergnats. Avant même d’examiner les problèmes que soulève déjà l’exode des persécutés, nous devons commencer par un acte public d’opposition à l’antisémitisme.
Nous ne sommes pas libres d’être antisémites ; même sous cette forme prudente qui se traduit chez beaucoup de chrétiens par cette petite phrase: “Dans leur intérêt même, les Juifs...”. Dieu sait ce qu’on exige des Juifs “dans leur intérêt même”!
Gardons-nous d’autant plus de l’antisémitisme, même larvé, que nous sommes tous —oui, tous et sans exception— les héritiers de cette haine séculaire; sinon de cette haine, du moins de cette hostilité entretenue en nous, il faut le dire à notre décharge, par les fautes, par les maladresses d’Israël; et par cette flamme redoutable que la persécution attise en lui.
A ce ferment de haine, j’ai toujours opposé l’admiration que je ressens pour quelques Juifs, morts ou vivants, et l’affection que plus d’un m’inspire. Il n’est pas de meilleur antidote à la haine de race que d’arrêter sa pensée sur certains êtres qui nous sont chers. Il n’est pas de meilleure réponse aux doctrines antisémites que de constater ce que la culture française et la culture allemande doivent au ferment juif —et ce que doit, en retour, le génie d’Israël aux civilisations occidentales. (Et je ne veux pas parler ici de ce que ressentent à l’égard des Juifs ceux pour qui le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est quelqu’un; ceux pour qui Jésus de Nazareth, le fils de Marie, est un ami, un frère.)
Mais nous n’avons pas à nous chercher des excuses. Voilà un des points précis où nous devons nous désolidariser des partis politiques, et en libérer avec nous la doctrine dont nous nous réclamons, l’Église dont nous sommes les enfants.
La conférence de Jacques Maritain a déplu à M. Le Provost de Launay et irrité l’Action Française mais elle a éveillé, dans des cœurs que je connais, une immense espérance: “...Ah! vous ne pouvez imaginer, m’écrit ce matin un jeune Juif, combien sont douces à un cœur juif éternellement angoissé, éternellement anxieux, des paroles comme celles de votre ami. Peut-être, au-dessus de toutes les atrocités de ce triste monde, arriverons-nous un jour, Juifs et chrétiens, à nous tendre la main. C’est mon plus cher espoir...” Il a donc suffi de quelques paroles de justice pour arracher ce cri, cet appel à un enfant violemment, presque furieusement israélite...
Et cela m’apparaît plus important que d’avoir remué la bile d’un vieux parlementaire de droite...
Mon ami juif ajoutait ce post-scriptum: “Maritain refera la même conférence, dimanche prochain... ”. Hélas! non, il ne la refera pas. Nous ménageons la haine.