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Le petit nombre

Référence : MEL_0845
Date : 08/07/1938

Éditeur : Temps présent
Source : 2e année, n°36, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
Version texte Version texte/pdf Version pdf

Le petit nombre

Nous répétons volontiers qu’il existe en France, aujourd’hui, une renaissance catholique dans les grandes Écoles, dans la jeunesse ouvrière…
En réalité il est difficile de prouver que certaines époques sont plus chrétiennes que d’autres.
La grâce est impondérable et elle est invisible. Ici, l’apparence ne compte pas et il faut se méfier de la façade. Nous ne doutons pas que le nombre de hosties distribuées ne s’accroisse merveilleusement dans les villes reconquises par les armées de Franco, mais nul ne sait ce que voit le Dieu qui sonde les cœurs.
Je me suis parfois demandé si la grâce n’était point toujours d’une puissance égale dans le monde; aussi forte qu’elle fut jamais lorsque nous la croyons vaincue, et d’autant plus menacée qu’elle triomphe en apparence.
Je crois que si on interrogeait les êtres qui s’efforcent de correspondre aux exigences de la grâce en eux, ils nous répondraient qu’à mesure qu’ils luttent et qu’ils avancent, ils ont, au milieu des hommes et même de leurs frères, le sentiment d’une solitude douloureuse. Ils nous diraient que c’est toujours au désert que Dieu conduit ceux qu’Il aime.
Un ami me parlait avec tristesse des églises vides, dans le pays de Mâcon où il habite. Mais même aux époques dites de foi, les églises furent souvent vides, desservies par un clergé ignorant et parfois scandaleux. Un autre correspondant, un jeune prêtre normand, se plaint de ce que dans la région en apparence plus chrétienne où il exerce son ministère, les résultats obtenus soient médiocres, et il en accuse le manque de détachement du clergé et sa désobéissance aux directions pontificales.
Mais la vraie raison, la raison éternelle, c’est que la grâce heurte la nature, c’est que chacune de ses victoires se traduit par le refoulement, par la domination d’une convoitise: une église pleine devrait nous étonner, non une église vide. Le grand nombre des chrétiens déclarés n’est qu’un leurre —et nous-même, nous mesurons chaque jour l’écart entre l’Évangile que nous professons et la vie que nous vivons. Le secret de la grâce, c’est qu’un petit nombre lutte, souffre et triomphe pour la masse des êtres— en union avec Celui qui est mort seul pour tous les hommes.
Il est impossible que nous devenions “la masse”.
Les chrétiens ne seront jamais que le levain et que le sel. Et c’est pourquoi, plus encore que de se multiplier, ils devraient avoir le souci de ne pas s’affadir.

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François MAURIAC, “Le petit nombre,” Mauriac en ligne, consulté le 20 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/845.

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  1. MICMAU_Temps présent_1938_07_08.pdf