Le naturel
Date : 15/03/1940
Éditeur : Temps présent
Source : 4e année, n°120, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
Le naturel
Un abbé, un malade, ami de Temps Présent, m’adresse d’affectueux reproches à propos de mon avant-dernier billet. Il ne lui suffit pas de souhaiter que notre journal ne recueille jamais l’écho d’aucune nouvelle polémique personnelle, mais il attend de nous que nous ne répondions jamais à aucune attaque. Sur le plan élevé où il place le débat, nous ne pouvons que lui rendre les armes.
Oserais-je, pourtant, lui dire toute ma pensée? Au risque de commettre de menues fautes, il me semble que Temps Présent a raison de garder une attitude dégagée, libre, et que ses collaborateurs, qui sont des écrivains laïcs, ont, pour premier devoir, de rester naturels.
Dans un journal comme le nôtre, le danger serait de prendre un ton convenu, officiel, “vertueux”. Une de nos raisons d’être, c’est de ne pas ressembler aux journaux qui, engageant une pensée officielle, reçoivent des mots d’ordre, obéissent à des directives et pour qui la censure est, comme la maladie selon Pascal, l’état naturel du chrétien.
Et surtout, lorsqu’il s’agit d’un collaborateur comme l’auteur de ces billets, dont on ne connait que trop la manière (hélas! depuis trop d’années!). Il serait un fameux Tartufe, s’il en changeait en pénétrant ici, et s’il faisait semblant de ne jamais céder à son humeur. A partir d’un certain âge, nous sommes à prendre ou à laisser: notre caractère ne changera plus.
“A prendre ou à laisser…” cette expression courante s’éclaire pour le chrétien d’un jour assez terrible: comme s’il avait déjà subi le jugement de Dieu, comme si le total de notre vie était acquis d’avance et à jamais. Selon le mot fameux, notre caractère, c’est notre destinée éternelle. Ce qui ferait frémir, si n’intervenaient des éléments plis forts que le destin, comme, par exemple, la prière et la souffrance d’un petit séminariste qui nous gronde, mais qui nous aime.