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Homicide par imprudence, par Pierre Bost (Editions Fast)

Référence : MEL_0989
Date : 01/03/1925

Éditeur : NRF
Source : 12e année, n°138, p.364-365
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Critique littéraire
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Homicide par imprudence, par Pierre Bost (Editions Fast)

Lire des manuscrits est la chose du monde la plus triste. Je serai toujours reconnaissant à Pierre Bost de la surprise joyeuse que m'a donnée Homicide par Imprudence, alors que je commençais de n'en pouvoir plus. Il y a dans le talent une évidence telle, que j'ai toujours admiré qu'un prix, qu'une élection académique suscitent tant de débats. Non que ce premier ouvrage de Pierre Bost soit “bien fait”: l'auteur ne se fatigue pas assez vite de suivre trois étudiants de ses amis Végas, Bernard Michel, la Folle, du café des lanternes bleues à celui de Panurge. Ce petit groupe vit dans un étrange état de grâce lyrique; tous amoureux et souffrants, un délicieux humour collectif sauvegarde leur pudeur; ce sont des garçons français (“garçons français, les plus intelligents de tous...” chantait Henri Franck). Bien que parfois le mal du siècle se confonde pour eux avec le manque d'argent, c'est l'amour qui les porte à vivre somnambules; de petits vins blancs et non des cocktails les y aident... Ils suivent des cours, préparent des examens; leurs amours ne sont pas étranges; ils dansent, mais pas au dancing, et fréquentent ces bals “que donnent les bourgeois pour marier leurs filles” —et ils souffrent à cause d'une jeune fille, comme s'ils n'avaient pas quitté leur province.
En eux, deux instincts se combattent ainsi que chez les oiseaux: celui de vivre en bande, et celui de s'isoler avec une oiselle... Mais le goût de la camaraderie domine. Si tout notre malheur vient de ne pouvoir demeurer seul dans une chambre, il faut plaindre les jeunes gens: c'est justement la seule épreuve qui leur paraisse insupportable. Vous les voyez s'attendre, s'appeler, s'abattre sur les bancs du Luxembourg comme des pierrots; s'entasser dans les brasseries. Ils n'ont pas encore de vie individuelle; ce sont eux qui ont dû inventer l'expression se sentir les coudes. La vie collective en eux circule par les coudes. Même pour préparer un concours, ils aiment être plusieurs. Leur noctambulisme vient de cette répugnance à se retrouver seul entre quatre murs; aussi s'accompagnent-ils indéfiniment les uns les autres et reviennent-ils sur leurs pas jusqu'à ce que l'excès de fatigue les oblige à dormir enfin.
Tout au bonheur de peindre cette vie des jeunes hommes, Pierre Bost doit mettre les bouchées doubles quand il arrive à l'essentiel de son récit: le héros croit que sa bien-aimée lui préfère un auteur dramatique et pense en mourir jusqu'à ce qu'un soir il découvre que c'est lui, l'élu; l'auteur dramatique s'éloigne et se tue un peu trop vite... C'est tout de même dans ces dernières pages que nous découvrons tout ce qu'il faut attendre de Pierre Bost: l'implacabilité des jeunes vivants heureux, devant leur victime, éclate avec une dure, une admirable franchise; il n'est de grand romancier que celui qui a le courage de contempler, sans défaillir, son cœur et celui des autres.

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François MAURIAC, “Homicide par imprudence, par Pierre Bost (Editions Fast),” Mauriac en ligne, consulté le 19 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/989.

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