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La Seule question

BnF_Le Figaro_1945_12_19.pdf

Revision as of 4 févr. 2018 22:10:01, edited by 147.210.116.173

COMME “l'Humanité” a pris de l'accent et du ton depuis que M. Pierre Hervé y a été intronisé! J'avoue que la vieille rédaction m'intimidait un peu. Je lui prêtais, à tort peut-être, je ne sais quelle insensibilité polaire. Mais voici, grâce à Dieu, un bouillant garçon qui nous arrive de sa Bretagne avec, en poche, son carnet de citations: rien qu'en mon honneur, il dérange Karl Marx, d'Alembert, Montalembert. Et si jeune, il connaît déjà la bonne méthode en usage depuis qu'il y a des hommes et qui sont de mauvaise foi: il isole deux ou trois de mes phrases du contexte, les dépouille de leur sens et les monte en épingle. De plus, il me traite d'ultramontain, moi qui me croyais plutôt de tendances gallicanes! Mais c'est là une querelle éteinte depuis un demi-siècle, tandis que celle que je veux faire à M. Pierre Hervé bat son plein, si j'ose dire, et que la question est brûlante, si brûlante qu'il l'esquive le mieux qu'il peut.
Et voilà le passionnant de sa réponse: c'est justement qu'il ne répond pas, et que pour rien au monde il ne voudrait répondre à la question posée, ni même y faire allusion. Il ne faut pas que le lecteur de l'“Humanité” se doute une seul instant de quoi il s'agit. Les communistes français, dont le chef siège en personne dans les conseils du Gouvernement, ont-ils le droit de défendre la liberté démocratique, le suffrage universel et, au dehors, l'indépendance des peuples? Le peuvent-ils sans rompre toute attache avec le régime soviétique? Qu'on me comprenne bien: il ne s'agit pas ici de porter un jugement contre le grand Empire allié. Quels que soient les sentiments qu'inspirent la Russie soviétique et son Chef, qui ne s'inclinerait devant l'œuvre grandiose, cimentée dans le sang, et accomplie là-bas depuis un quart de siècle? Simplement, nous constatons que leur démocratie n'est pas notre démocratie, que jamais le même mot n'exprima deux choses si différentes.
Vous avez beau dire: vous ne pouvez à la fois vous réclamer d'un régime totalitaire, dictatorial, et vous poser en défenseur des principes de 1789. Et à l'extérieur, vous ne pouvez consentir à être comme les communistes chinois, comme les communistes persans, comme les communistes bulgares et yougoslaves, un pion sur l'échiquier du monde, un pion dans le jeu de l'impéralisme panslave.
La question est claire. Vous l'esquivez en attaquant, c'est la bonne méthode, et en me dénonçant moi-même comme ultramontain, c'est-à-dire (si je comprends bien le sens que vous donnez à ce mot périmé), comme un homme qui reçoit des directives d'un gouvernement étranger. Ah! que je serais heureux, Pierre Hervé, que vous fussiez un communiste français dans l'exacte mesure où je suis moi-même un catholique français, et qui vous ne fussiez lié à un chef au dehors que par un lien tout spirituel! On peut penser ce qu'on voudra des principes qui animent le M.R.P., mais vous ne ferez croire à personne qu'un impérialisme étranger l'utilise pour l'accomplissement de ses desseins. Je vous ramène ici à la question précise devant laquelle vous vous dérobez. C'est la seule qui compte, car le reste n'est pas grave: le dada anticlérical, nous savons bien qeu si vous l'enfourchez, c'est pour des raisons tactiques, à cause de l'espèce d'adversaires que les conjonctures électorales vous opposent, mais que demain, si vos chefs le jugent bon, nous en reviendrons à la main tendue. Non, ce qui compte pour vous, devenu parti de gouvernement, et pour nous dont toute la vie politique est empoissonée par cette équivoque, c'est de savoir si vous avez réellement le droit de vous présenter devant le peuple français comme les défenseurs des principes de 1789. Nous y consentons volontiers, nous sommes prêts à vous croire sur parole, mais à une seule condition: c'est que vous adaptiez à ces principes votre politique étrangère et que vous le fassiez ouvertement; c'est que vous adressiez aux peuples un message de sympatie, qui serait en même temps une prise de position solennelle en faveur des faibles et des petits contre les abus de la puissance et de la force. C'est alors que l'unité des partis prolétariens pourrait s'accomplir, car rien ne vous sépare des socialistes, sinon cette forme de cléricalisme qui, comme je l'ai déjà écrit, se sert de la foi révolutionnaire des peuples pour satisfaire à la volonté de puissance des empires.