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L'amour de la mort

MICMAU_Temps présent_1938_07_22.pdf

Revision as of 14 avr. 2015 17:03:41, edited by 147.210.116.173

C’est par un jour d’été beau et calme sur une plaine où les derniers abricots sont trop mûrs, où déjà les grappes de raisin soulèvent les feuilles sulfatées, où il faut soutenir de béquilles les branches des pruniers et des pêchers accablées de fruits, c’est alors que l’homme comprend que le mal n’est pas l’œuvre de Dieu.
Cette plaine splendide est partout désertée: la mort y règne plus que la vie et seul de toutes les créatures, l’homme, qui n’a pas encore fui vers les villes, refuse de se survivre dans les êtres nés de lui.
C’est vrai que nous n’aimons pas le bonheur, que nous ne voulons pas le bonheur. Le cri d’Oscar Wilde: “Non le bonheur, mais le plaisir!” n’est pas un cri d’esthète décadent. Il jaillit aujourd’hui des entrailles de l’humanité la plus humble et, hier encore, la plus naïve et la plus pure.
Je songe au paysan qui naguère, par un jour radieux comme celui-ci, marchait seul derrière ses bœufs “Caubet” et “Lauret” dont je vois les échines fauves. Je l’imagine maintenant dans le vacarme de l’atelier, dans les relents chimiques, dans cette promiscuité, dans un de ces cercles de l’enfer industriel qui est l’œuvre de l’homme.
Cliché, dira-t-on, antithèse facile —oui, pour vous qui me lisez, mais non pour moi qui écris ces lignes dans ma vieille maison, au cœur d’une campagne bien aimée, rongée par un mal qui n’y apparaît pas encore au premier regard, comme dans les départements voisins— mais elle se vide pourtant, chaque année un peu plus, de sa substance humaine.
Par ce jour d’été beau et calme, un appel muet monte de la plaine splendide, une supplication vers l’homme qui préfère la mort à la vie, vers la créature stupide qui a perdu le discernement du bonheur.