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La Trève de sept mois

BnF_Le Figaro_1945_10_25.pdf

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LES mêmes hommes qui attachaient tant d'importance au referendum qu'ils lui avaient donné, contre la volonté du général de Gaulle, la signification d'un plébiscite, affectent aujourd'hui de traiter par le dédain la réponse de la France. Bien que j'aie de fort bons yeux, j'aie de fort bons yeux, j'ai vainement cherché, au bas des colonnes du “Front National” de lundi et de mardi, la moindre allusion à la victoire du double oui. Le comble, c'est que dans ce même journal Pierre Villon prétend éliminer le M.R.P. de la majorité républicaine où en revanche il souhaite que figurent les pâles survivants du naufrage radical.
Mais les faits restent les faits. Le M.R.P., sorti vainqueur de l'épreuve électorale, n'a pas perdu, lui, la bataille des oui-non. Il l'a au contraire, avec les S.F.I.O, magnifiquement gagnée. Les lecteurs du “Front National” ne sont tout de même pas assez naïfs pour croire que cette victoire n'existe pas parce que leur journal a résolu de n'en plus parler. Pierre Villon, dont je connais la vive intelligence, s'imagine-t-il que les résultats du referendum n'entreront pas en ligne de compte dans la constitution du gouvernement de demain? Pourtant, il ramasse une arme indigne de lui et la tourne contre ses frères de la Résistance. A l'en croire, ce seraient les suffrages des “cardinaux collaborateurs” qui auraient assuré la montée en flèche du M.R.P. Or, entre toutes les raisons de son triomphe (au nombre desquelles il convient de mettre d'abord l'honnêteté politique de ses animateurs), il en est une qui saute aux yeux: le M.R.P., conduit par des hommes que nous avons toujours vus à l'extrême pointe de la guerre contre les traîtres et contre les bourreaux, est un des rares mouvements issus de la Résistance qui n'ait jamais refusé sa confiance au général de Gaulle. C'est de cela aussi que le pays lui a été reconnaissant. Dimanche, le M.R.P. a été deux fois vainqueur pour la même raison que le parti communiste ne l'a été qu'une fois, et que le parti radical a subi le double désastre dont on peut douter qu'il se relève jamais: c'est qu'il y a eu une grande bataille gagnée par les uns, S.F.I.O. et M.R.P., et perdue par les autres.
Pierre Villon a trop de finesse pour s'obstiner dans son exclusive contre le jeune parti triomphant. La sagesse une fois encore est du côté de M. Léon Blum lorsqu'il convie les trois vainqueurs de dimanche à réaliser le programme du C.N.R. Hier matin encore, dans un article d'une parfaite loyauté et qui contribuera à éclaircir la situation politique, il proclamait sa confiance dans la bonne foi des chefs du M.R.P. et son accord avec l'essentiel de leur programme.
Cette collaboration entre communistes, S.F.I.O. et M.R.P. serait peut-être une chimère dans un Parlement selon la formule ancienne. Mais emporté par la passion politique, Pierre Villon oublie qu'il s'agit pour l'instant non d'une Chambre des députés, mais d'une Assemblée constituante. La Constitution qu'avant tout autre réforme notre peuple espère, c'est de cela que nos hommes politiques paraissent être le moins soucieux, c'est cela pourtant qui nous importe à tous et que nous attendons non sans quelque angoisse, car le destin du pays reste suspendu aux délibérations de ces braves gens venus de toutes les provinces et que nous ne connaissons guère… Or sur ce terrain, et malgré de très profondes divergences (surtout en ce qui concerne le bicamérisme), il ne nous semble pas impossible que les frères ennemis ravalent leur colère, oublient les injures échangées et qu'ils s'unissent au moins dans ce désir de donner au pays les institutions qui lui permettront d'affronter sans d'inutiles risques un avenir dont nul n'ignore qu'il est redoutable.
Que ces nouveaux “trois grands” de l'intérieur résistent, eux aussi, à la tentation de l'épreuve de force. Ils ont tous contribué à la délivrance de la patrie. Ils comptent tous des martyrs dans leurs rangs. Puissent-ils, groupés autour du général de Gaulle, signer pendant sept mois une Trève de Dieu! Puissent-ils n'avoir plus d'autre souci que d'édifier une République humaine, telle enfin que le plus grand nombre de Français possible consentent, sans arrière-pensée, à la servir et à l'aimer.

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