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Le Parti de l’espérance

BnF_Le Figaro_1945_11_30.pdf

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DANS l'hebdomadaire “Les Etoiles”, un poète catholique très jeune et très charmant, Loïs Masson, dénonce “la peur” de ses frères dans le Christ. Il enfle son style et le travaille pour retrouver le ton de Bernanos. Mais lorsque, au plus noir de la guerre civile espagnole, et sous la pluie de sang qui commençait à tomber, Bernanos poussa ce grand cri, c'était une conscience solitaire qui usait de la liberté des enfants de Dieu pour demander des comptes aux princes des prêtres. Loïs Masson, lui, juché sur l'épaule de Louis Aragon comme un gracieux oiseau des iles (c'est de l'ile Maurice qu'il nous vient), ne songe pas que, lancée du haut de ce perchoir, sa diatribe n'a plus la moindre portée; car chacun sait que tout Eglise comme tout parti se compose de membres pécheurs, et qu'il n'est pas un reproche adressé à la collectivité catholique auquel on ne puisse répondre par un reproche équivalent au parti communiste. Du fond de la solitude où il souffrait, la fureur de Bernanos se communiquait à nous comme le feu. Celle du gentil Loïs, à la fois chrétien et communiste de robe courte, nous laisserait froids même s'il usait d'un français moins incertain.
Auxquels de ses frères en a-t-il, en somme, cet enfant-poète? Avons-nous si peur? Sommes-nous tous dénués, autant qu'il le dit, de justice et d'espérance? J'écarte du débat l'armée immense de la charité catholique et protestante, qui inspire tant de mépris aux marxistes. Ce qui se passe entre une fille de Saint-Vincent-de-Paul, une Petite Sœur de l'Assomption, une Dominicaine des Prisons, un Frère de Saint-Jean-de-Dieu et le corps qui souffre, et l'âme qui désespère, si Loïs Masson y arrêtait un seul instant sa pensée, il se mettrait simplement à genoux. Mais laissons cela. Encore une fois, à qui en a-t-il? Un garçon qui a tout quitté en ce monde peut-être vicaire à Pantin ou à Notre-Dame de Plaisance (les deux paroisses où peinait mon ami Rémi Pasteau avant d'être tué devant Longwy, le jour de la Pentecôte 1940), tant de jeunes prêtres qui travaillent les banlieues des grandes villes se donnent-ils d'un cœur moins généreux à la classe ouvrière que le militant communiste le plus ardent? Cher Loïs Masson qui êtes leur frère, pourquoi les garçons de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne seraient-ils moins près de votre cœur que ceux de la jeunesse communiste?
Notez que je ne vous reproche pas, étant chrétien, de militer du côté où votre passion politique vous porte. Mais pourquoi à la réalité catholique d'aujourd'hui substituez-vous une caricature fournie par vos camarades athées? Allez aux messes de l'aube, et vous verrez si l'argent y règne, comme vous dites. Ignorez-vous qu'aujourd'hui de très vastes secteurs de la bourgeoisie moyenne sont atteints par la gêne et même par la misère et que l'éminente dignité du pauvre dans l'Eglise n'est plus le privilège d'une classe? Les vertus essentielles de ces mères de famille qui sauvent la face, comme on dit, qui élèvent leurs enfants selon des principes et une tradition, ce sont précisement les deux vertus que vous leur déniez, le courage et l'espérance.
L'espérance! Mais il n'y en a que pour nous, comme disait Péguy. Vos amis matérialistes ne la possèdent que par illogisme, eux qui ne dépassent pas ce qui est voué à l'anéantissement, –alors que notre espérance s'incarne et que notre amour a un nom et un visage éternel.
Non que nous nous détournions de la cité terreste. Nous aspirons ardemment à y travailler comme vous et avec vous. Mais nous sommes en attente. Ce que vous désirez, nous le désirons aussi, mais ce n'est pas pour nous une fin. Dans toute manifestation de la justice ici-bas, nous discernons un présage de celle qui ne passera pas. Eh bien! oui, je vous l'accorde, nous avons peur, –non certes des communistes mais de nous-mêmes, de notre insuffisance, de la responsabilité qui nous accable, de nos souillures; car en face de vos amis, il n'y aura bien tôt plus que nous; déjà il n'y a plus que nous, vous le savez et ils le savent. Et c'est sur ce plan peut-être qu'un grand rôle vous reviendra un jour, à vous, chrétiens d'obédience communiste, si jamais la doctirne marxiste s'assouplissait au point qu'il pût s'établir entre les deux Cités mieux que des trêves passagères et inspirées par la tactique: au lieu d'enfourcher le vieux cheval fourbu de Léon Bloy et de partir en guerre contre votre Eglise, soyez donc cet ange qui passe d'un camp à l'autre, noue des liens, crée des correspondances et révèle aux frères ennemis qu'ils sont les pampres de la même vigne, qu'ils participent au même amour.

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