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Mussolini envahit l'Ethiopie : un dessin de Sennep

GALLICA_Le Figaro_1935_09_24.pdf

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Le désert. Au pied d'un cocotier, un écriteau porte cette indication: Palais Royal. Dans les palmes, sont perchés deux singes et le Négus d'Abyssinie.
C'est très drôle et il faudrait rire. Mais par habitude professionnelle, je me mets à la place des gens. Qu'a-t-il pu éveiller, ce dessin, dans l'esprit des Noirs qui l'ont vu –ou qui le verront lorsque le journal de Sennep aura traversé les mers?
J'imagine un garçon de couleur, dont le père ou le frère aîné repose depuis vingt ans, quelque part, entre la mer et les Vosges. J'affirme qu'il y a là de quoi susciter dans un cœur simple une haine assez puissante pour remplir sa vie.
Cela ne touche en rien au fond du conflit italo-abyssin. Les approbateurs de l'attitude italienne ont des arguments qui ne laissent pas d'impressionner. Mais de là à couvrir d'opprobres l'héritier du roi mage de nos crèches d'enfant... Mussolini, qui a de la grandeur, ne nous en demande pas tant. Non! il n'en demande pas tant aux Français qui ont contracté avec la race noire une dette dont le chiffre est inscrit Dieu sait où.
Et puis, quels que soient les torts des “sauvages” dans cette histoire, ils n'en sont pas moins à la veille de voir apparaître dans leur ciel les escadrilles des civilisés. Ce ne sera pas plus drôle pour eux que naguère pour nous. Pourquoi rire et se moquer de ceux qui vont mourir? Il y aura bientôt de pures agonies dans ce pays d'esclaves que la pluie du ciel préserve, pour quelques jours encore, de leurs libérateurs.
Si cette guerre est une juste guerre, il ne m'appartient pas d'en décider. Mais le manque d'imagination de quelques-uns de mes confrères m'est, je l'avoue, un grand sujet d'étonnement –surtout de ceux qui mettent au-dessus de tout le devoir envers la patrie.
Les Abyssins ont la faiblesse de se croire dans leur droit. Ils ne se sentent pas barbares. Nous ne pouvons exiger d'eux qu'ils prennent de leur propre barbarie une conscience aussi nette qu'en ont les Italiens. Qu'est-ce donc qu'un barbare, aujourd'hui? En tout cas, entre Italiens et Abyssins, l'amour et la foi créent une égalité, puisqu'il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie, et qu'il n'existe pas deux façons de mourir pour sa terre natale, en prononçant le nom de Jésus.
Dans le prochain dessin de Sennep (la saison des pluies va finir...), l'Ethiopien ne sera plus perché dans un cocotier entre deux singes, mais peut-être étendu sur le sable, les bras un peu écartés, la face vers le ciel.
Sennep a mis, dans les pattes du Négus, un journal: l'Humanité... Et cela aussi donne à réfléchir. Depuis l'affaire Dreyfus, les puissances de désordre et de destruction savent quelle arme redoutable devient entre leurs mains une cause juste. Et nous, chrétiens, nous devrions nous en souvenir. Mais nous l'avons oublié.

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