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La Voix de Thorez

GALLICA_Le Figaro_1936_04_22.pdf

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J'étais seul, l'autre soir, dans un vieux salon de campagne où le mobilier second Empire et cossu faisait songer au vers de Francis Jammes, “du temps que les propriétés rapportaient”.
Au milieu de tout ce palissandre et de tout cet acajou, j'étais le représentant d'une des innombrables familles qu'ont ruinées les emprunts de la troisième République et sa fiscalité meurtrière; –j'étais le rejeton d'une de ces familles françaises paysannes, commerçantes, qui produisent aussi des magistrats, des notaires, des bons prêtres et même des poètes, et qui n'ont pas eu besoin de deux cents familles pour être délestées de leur modeste patrimoine. Une seule famille a suffi à nous ruiner tous; –une famille pour laquelle je ne trouve pas de nom. Or, dans ce vieux salon où j'étais seul, attentif à la voix du rossignol qui essayait de chanter bien que la nuit fût froide –une autre voix s'éleva presque aussi douce, une voix tendre et bêlante, plus persuasive que celle de Philomène, la voix du communiste Thorez.
Faut-il tout de même que ce pays soit peu révolutionnaire pour que le loup ait eu le front de se déguiser en berger, sous notre nez, avec cette tranquille audace! Faut-il surtout qu'il nous méprise, qu'il escompte la stupidité du petit bourgeois français, du petit propriétaire, ou de ce qui en reste!
Le doux camarade Thorez nous proposait donc un système de prélèvement sur les fortunes qu'il avait emprunté à M. Marin! J'ai cru comprendre que jusqu'à cinquante mille francs de rente, sous le régime communiste, les Français pourront dormir sur leurs deux oreilles –qui sont longues, mais peut-être moins que ne l'imagine Thorez.
Sa voix avait beau se faire aussi tendrement pressante que celle de la paysanne qui appelle ses couvées: “Petits! petits! petits!” je me disais: “Non! c'est impossible qu'ils marchent...” “ils”: je veux dire le Français moyen, le radical de sous-préfecture, l'électeur équilibré dont le postérieur adhère au rond de cuir, mais dont le ventre en proue regarde l'avenir!
Hélas! ce sont de grands passionnés, que ces gens raisonnables. Ils redoutent la Révolution, mais ils haïssent cette classe aux contours indécis dans laquelle ils font entrer tout ce qui les dépasse. Leur haine est plus forte que leur peur. Leur haine est à base d'envie et l'envie est une passion triste qu'il faut nourrir sans cesse et qui ne s'assouvit jamais.
Le jeu communiste consiste donc à les rassurer tout en les excitant; à donner un nom et un visage à l'objet de leur exécration: “les deux cents familles”; et à les persuader en même temps que toute la Révolution se ramène à un impôt sur la richesse inventé par M. Marin.
Les plus bêtes d'entre eux ne s'y laissent pas prendre; surtout dans ce pays où le vent d'Espagne a une odeur de brûlé. Mais ils s'efforcent de se persuader que chez nous “ça ne se passerait pas comme ça”... Les Espagnols ont toujours eu la manie de brûler les gens; c'est bien connu! Ils mettent même le feu au taureau quand ils ne le trouvent pas assez excité. Le Français moyen, lui, se croit d'une autre espèce: depuis le temps qu'il va toujours plus à gauche, sans que l'ordre soit troublé, il se fie au bon sens national dont lui-même déborde. Son propre poids le rassure.
Il n’empêche que pour la première fois peut-être depuis qu’il use de ses droits souverains, l’électeur est inquiet et a le sentiment que le débat est ailleurs qu’entre M. Tartinet et l’alliance démocratique et le citoyen Ripaton, S.F.I.O Si la campagne électorale est morne, si, au moment où j’écris, les injures échangées manquent d’accent, c’est que le pauvre Français moyen découvre qu’il n’est qu’un pion infime sur un échiquier immense qui se confond avec la planète. Les élections françaises ne sont pas, si j’ose dire, “une fin en soi”; dans un monde où se meuvent des sauriens de la taille d’Hitler, de Staline et de Mussolini, les mouches du café du Commerce ne savent plus où se poser.

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