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La Menace des Clubs

GALLICA_Le Figaro_1936_05_08.pdf

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Dès le premier jour, un signe nous paraît redoutable: jusqu’à l’ouverture de leurs congrès respectifs, les vainqueurs du 3 mai ont résolu de ne remuer ni pieds ni pattes et témoignent ainsi qu’avant de se mettre à la disposition de la France, ils sont aux ordres de leurs militants.
Maître de l’Etat et libre de ses mouvements, un homme d’extrême gauche obéirait sur les points essentiels aux mêmes réflexes qu’un homme de droite: il existe une nécessité gouvernementale qui ne connaît ni droit ni gauche; d’où, à travers tous les régimes, la continuité relative de la politique française. Les politiciens du type Briand ne sont pas des socialistes qui ont trahi la classe ouvrière, mais des chefs de partis qui sont devenus des chefs de gouvernement. Jusqu’au 3 mai 1936, pour tenir la queue de la poêle, un socialiste devait d’abord quitter son parti, car nul ne mettait en doute que l’idéologie de gauche ne fût incompatible avec les exigences de l’Etat.
C’est ici qu’apparaît dans notre destin un changement d’ordre révolutionnaire: les vainqueurs du 3 mai resteront au pouvoir des hommes de parti. Sans doute, les ministres radicaux nous avaient accoutumés à ce malheur. Mais que sera-ce aujourd’hui? Nos nouveaux maîtres recevront des mandats impératifs et ne pourront prendre aucune décision sans en référer à leurs commettants –et cela dans une Europe où un Mussolini, un Hitler jouent vite et gagnent à tout coup parce qu’ils ne doivent de compte à personne.
A vrai dire, un Léon Blum, un Vincent Auriol ne nous paraîtraient guère plus à craindre qu’aucun des hommes subtils qui ont dirigé nos affaires jusqu’à ce jour et auxquels nous devons d’être roulés dans de si beaux draps. En revanche, nous redoutons fort un Blum, un Auriol, obligés de rendre des comptes, non plus seulement aux commissions parlementaires, mais aux militants de leur propre parti et des partis alliés qui, sous une forme ou sous une autre (on n’osera rien tenter sans leur permission) finiront par siéger en permanence comme les clubs de 93.
Il faut oser dire ces choses. De nombreux Français, même à droite, éprouvent aujourd’hui qu’il n’y a rien de pire pour un grand pays que cette espèce de torpeur qui tenait la France, que cette maladie du sommeil. Ils estiment qu’un moxa était devenu nécessaire, un révulsif. Ils seraient tentés de préférer l’abîme à l’ornière –tondus depuis longtemps et de trop près pour que les menaces fiscales agissent beaucoup sur leur imagination. Enfin, ils sont las d’une telle souffrance autour d’eux: de celle surtout de tous ces garçons désespérés qui se débattent en vain dans un monde livré à des puissances aveugles et sourdes.
Et même parmi les privilégiés, plus d’un cède à l’euphorie que nous ressentons en rêve lorsque tombant d’une très haute tour, nous n’en finissons pas de choir dans un vide délicieux… Qu’ils se méfient du réveil: ce ne serait rien que d’avoir des maîtres d’extrême gauche si ces maîtres n’étaient eux-mêmes de l’espèce servile, et si nous n’étions assurés d’avance qu’ils obéiront au doigt et à l’œil.
A moins que l’un de ces nouveaux venus ne finisse par s’imposer aux puissances qui l’auront poussé à la première place. Le destin aime à rire: le Front populaire porte peut-être dans son sein le dictateur introuvable dont la vieille dame de droite n’a jamais pu accoucher.
“Je ne regrette rien, n’ayant jamais agi que dans l’intérêt de mon parti.” Ce mot terrible de Gambetta mourant est cité par M. Abel Bonnard dans un livre paru ces jours-ci, et qui s’appelle justement Les Modérés. En attendant les prochaines assises des comités qui donneront leurs ordres à nos nouveaux maîtres, lisez et méditez cette œuvre lucide où le bonheur de l’expression vous rendra votre malheur intelligible. Il reste cela aux Français, grâce à leurs moralistes et au plus beau langage du monde, de connaître toujours exactement ce qui les tue.

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