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La Menace des “journées”

GALLICA_Le Figaro_1936_05_12.pdf

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“Je ne formule pas de menaces, s’écriait dimanche M. Léon Blum, mais que personne n’oublie qu’il y a derrière nous les masses populaires, auxquelles on n’aurait pas besoin de faire appel deux fois si l’on s’insurgeait contre leur volonté.” Ainsi, dans le moment même où le chef socialiste se défend de menacer personne, il brandit une arme qui vise la capitale au cœur, et qui peut se retourner contre lui.
Car ces masses auxquelles un gouvernement socialiste ferait appel n’auraient plus l’aspect de cette inondation puissante, mais endiguée, qu’organisait le Front populaire et dont les Parisiens déjà ne s’effrayaient plus. Aujourd’hui, le même pouvoir qui déchaînera cette force tiendra en main la police et l’armée: il ne saurait à la fois recourir à l’émeute et lui opposer les gardiens de l’ordre. Qu’on le sache bien: ceux qui descendront dans la rue désormais y descendront en maîtres.
Il ne s’agira plus d’une manifestation, mais d’une de ces “journées” dont les dates demeurent inscrites sur le mur de l’Histoire pour y marquer les diverses crues de la Révolution. En 1924, le chef d’un gouvernement radical et tous ses ministres escortèrent au Panthéon les cendres de Jaurès; il n’en fallut pas plus: la foule devint grondante et menaçante et la panique de Paris gagna la France entière.
On ne peut à la fois s’appuyer sur l’émeute et la juguler. Le jour où, après avoir appelé à son secours la masse populaire, le président du Conseil socialiste en serait réduit à lui opposer la force armée, il serait balayé et, selon une loi inéluctable, d’autres chefs naîtraient de l’émeute même qui, ceux-là, ne distingueraient plus Léon Blum de Pierre Laval ou de Louis Marin.
Un gouvernement socialiste a tout à craindre de la rue, parce qu’il est désarmé contre elle. La règle du jeu, de l’horrible jeu, lui interdit ce qui est permis aux ministres radicaux. Ceux-ci ont souvent tiré quelque orgueil d’avoir maintenu l’ordre durement. Certains même en ont tiré profit: le brutal Clemenceau dut à sa poigne une part de son prestige. Mais, pour un gouvernement socialiste, toute victoire remportée sur la foule furieuse équivaudrait à un arrêt de mort.
M. Léon Blum a raison de l’affirmer: il n’aurait pas besoin de deux appels pour précipiter dans la rue les masses populaires. Seulement a-t-il réfléchi qu’elles y peuvent descendre sans être appelées par lui? D’autres voix que la sienne, plus puissantes que la sienne, s’élèveront. Ceux qui ne veulent pas partager la responsabilité du pouvoir ne lui demanderont peut-être pas son avis pour déchaîner la tempête.
“La menace des clubs”, écrivais-je l’autre jour. Elle se précise terriblement. On ne saurait trop méditer le passage, que l’on trouvera reproduit plus loin, d’un article de M. Jacques Duclos, publié hier dans l’Humanité.
De ce peuple soviétisé sur lequel le ministère S.F.I.O. s’appuiera, M. Léon Blum n’est donc pas l’unique chef. Plusieurs qui ne connaîtront pas les entraves du pouvoir n’auront d’autres raisons de ne point s’abandonner aux excès que le souci de ne causer nul embarras au chef du gouvernement. Mais que ce sera tentant pour eux d’obliger M. Léon Blum à défendre l’ordre et de le condamner à faire bon gré mal gré figure d’homme de droite!
Nous n’avons aucune raison de ne point croire sincère le futur président du Conseil quand il écrit: “Si nous réussissons, tout le monde en profitera…” Au point où en sont venues les choses, ce que nous redoutons, ce n’est pas que M. Léon Blum soit le maître, mais au contraire qu’il ne le soit pas assez.

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