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CE silence de quatre années, les journalistes français en auront-ils usé pour “prendre des résolutions”, ainsi que nos maîtres religieux nous recommandaient de le faire au collège, à la fin des retraites? Vont-ils au contraire continuer d’écrire, d’une plume hâtive et insouciante, comme du temps de la course à l’abîme?
Un article de journal vaut sans doute par la vivacité, par la fraîcheur d’une réaction que la Raison ne contrôle qu’à peine. Mais nous vivons des heures où la parole écrite engage terriblement un homme. Aujourd’hui, l’irréflexion risque de toucher au crime. Nous demandons à ceux de nos lecteurs qu’il nous arrive de blesser, de croire que bien loin d’y prendre plaisir, nous le ressentons jusqu’à l’angoisse. Comme il faut approuver ce vœu de M. Albert Camus, dans un article de “Combat”, que “la réforme politique inspire une profonde mise en question du journalisme par les journalistes eux-mêmes”!
Autrefois nous traitions légèrement les lettres de reproches ou d’injures que nos articles nous attiraient. Peut-être même y trouvions-nous une sorte d’excitation délicieuse. Mais il ne s’agit plus de céder à ses humeurs. Nous avons été les acteurs et les témoins du drame français le plus noir. C’est un fait qu’on ne peut regarder en face, mais c’est un fait que la France n’a pas seulement été vaincue: elle a manqué de périr. Elle était devenue la proie d’un peuple affamé qui ne se fût jamais résigné à quitter la place. Il s’accroche toujours ici et là: il y a comme des plaques purulentes sur le corps sacré du pays. Mais enfin la France, détachée du poteau, vit, respire, et nous la contemplons, telle que nous la montre ce dessin qu’on vient d’afficher à Paris: si jeune, avec, aux joues, le doux feu de la convalescence; mais ses mains portent encore la trace écarlate des clous. Dans nous courses exténuantes à travers la ville sans autobus et sans métro, c’est comme si nous touchions d’un doigt tremblant des cicatrices encore fraiches, sur un visage bien-aimé.
Dans notre pensée, tout appartient à la France: c’est elle encore, c’est sa voix que nous reconnaissons à travers les plaintes, les reproches que suscite tel jugement qu’il nous arrive d’émettre ici, avec trop de véhémence peut-être, avec une passion qui s’interroge, craignant de n’être pas toute pure.
Et pourtant, ce que j’ai écrit de Maurras, je pourrais l’adoucir, y introduire des nuances, lui accorder toutes les louanges dues à l’écrivain, au dialecticien, au polémiste. Mais rien ne changera ma conviction profonde. Rien ne peut faire qu’un certain nationalisme français –celui qui se disait “intégral”–, qu’une fraction non négligeable de la grande et moyenne bourgeoisie qui était pénétrée de cette doctrine, n’ait pris le parti de l’occupant devenu bourreau, et que toutes ses forces, sous la bannière vichyssoise, n’aient été mobilisées contre la Résistance d’un peuple qui ne voulait pas mourir.
Durant les premières années du siècle, et jusqu’en 1918, quel adversaire des nationalistes eût songé à mettre en doute leur fidélité à la patrie? “L’Action Française”, elle-même, tout au long de la grande guerre, aida magnifiquement à la victoire. Que s’est-il donc passé entre 1918 et 1940, entre les deux armistices, celui de notre gloire et celui de notre honte? Nous ne saurions exposer, dans un bref article, l’histoire de cette chute luciférienne qui est celle du nationalisme maurrassien, et que nous comptons aborder ailleurs.
Notre seul propos est de persuader ceux que nous avons offensés qu’il n’est rien en nous qui ait pris plaisir à cette offense. Si naguère l’écrivain céda au plaisir de lancer un trait injuste qui portait loin et qui blessait, le temps n’est plus, de ces jeux cruels. Nous voulons comprendre, nous voulons voir clair dans l’histoire atroce de ces dernières années, et entraîner nos lecteurs, les exercer à l’examen de conscience. Il est impossible que la bourgeoisie française ne tente pas un effort pour renier certains de ses partis pris, pour dominer ses vieilles passions, ses haines –et surtout et d’abord pour reviser, pour remettre en question l’enseignement qu’elle a reçu de Maurras et de son écoule.
Il est remarquable que la doctrine, chez trop de maurrassiens, a dominé et bridé l’instinct profond de la Race qui les eût jetés dans la Résistance à l’envahisseur, –alors que ce même instinct au contraire l’a emporté, chez beaucoup d’ouvriers, sur l’internationalisme théorique dont ils faisaient profession, –de sorte que, dans bien des cas, la patrie aura été défendue par des “sans-patrie”, et abandonnée par des “patriotes”.
C’est sur cette contradiction que nous souhaiterions d’arrêter la pensée de ceux qui nous lisent, même s’ils en devaient ressentir quelque malaise. Le journalisme renouvelé dont nous rêvons n’exige pas seulement la réforme du journalisme, mais celle aussi du lecteur. Naguère celui-ci exigeait, chaque matin, une approbation de ses goûts et de ses dégoûts, de ses manies, de ses phobies. Qu’il consente aujourd’hui à être quelquefois contredit et même offensé. C’est à ce prix que nous feront ensemble un journal vivant et plein de sang et où l’on sentira battre le pouls de la France ressuscitée.