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La Sueur et le Sang

BnF_Le Figaro_1945_02_09.pdf

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L'EDITORIALISTE de “Combat” et ses contradicteurs n'ont aucune chance de s'entendre, ni même de se renconter: ils raisonnent sur des plans différents. Le premier a certes le droit de protester qu'il n'est pas un songe-creux. Au dedans de la France comme au dehors, il considère ce qu'il y a de plus réel, il part de la seule réalité que nous ne puissions mettre en doute: l'homme, sa force partout exploitée, son sang partout répandu.
Après chaque armistice, des millions de cadavres, du fond des fosses communes, interrogent les survivants: “Qu'allez-vous faire pour conjurer la prochaien hécatomne dont les prophètes de malheur déjà interprètent les signes?” Il ne faudrait plus que dans aucun grand “Reich” l'exploitation de l'homme par l'homme, à l'intérieur, fût mise au service de la puissance au dehors, pour dominer et pour asservir les peuples faibles. Il ne faudrait plus qu'il existât entre la sueur de l'ouvrier et le sang du soldat ce rapport fatal, cette correspondance inéluctable.
Non, ce ne sont pas des songe-creux ceux qui croient en un monde où le travail des hommes enchaînés à une tâche accablante n'aidera plus les nations à s'entredévorer. Décevoir, cette fois encore, leur exigence de justice entre les citoyens et de paix entre les nations, ce serait l'établissement définitif de l'enfer dès ici-bas. “Dieu est mort!” Ceux qui ont cru à ce mensonge de Zarathoustra, comment se résigneraient-ils à perdre leur foi terrestre? Peut-être cet aspect de la question échappe-t-il à certains chefs de formation matérialiste, uniquement attentifs aux phénomènes économiques. Qu'ils y songent pourtant: si les peuples en arrivent à croire que la cause du genre humain est une cause perdue, ils cèderont à un scepticisme désespéré; toutes les classes sociales seront submergées par cette immense vague. Rien ne les défendra plus contre cette soif de plaisir, contre le besoin de fermer les yeux, de s'abandonner, d'être ivre, qui déjà en 1918, au lendemain de notre fausse victoire, nous engourdissait.
“Réformes de structure, sécurité collective”, ces formules abstraites, rédigées en un français détestable, traduisent la dernière espérance en ce monde d'un peuple “à qui on a enlevé son Seigneur et qui ne sait où on l'a mis…” Et même si ce n'était là que des rêves, il ne faut pas jouer avec les rêves des hommes.

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