Mauriac en ligne

Search

Recherche avancée

Scripto | Transcribe Page

Log in to Scripto | Recent changes |
Notice: Array to string conversion in /sites/mauriaconline/www/web_main/plugins/Scripto/views/shared/index/transcribe.php on line 348
Array
| View file

L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel

BnF_Cahiers_1913_03_2.pdf

« previous page | next page » |

Current Page Transcription [edit] [history]

Théâtre de l'œuvre. – L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel. –Je connaissais, pour l'avoir lu souvent, ce mystère. Le génie de Claudel ne s'y révèle pas avec autant de force que dans Tête d'or ou dans La Ville. Mais c'est une œuvre toute pure, toujours égale. Comment le publie de répétition générale recevrait-il cette musique inconnue? Il n’y avait pas là que des fidèles: MM. de Caillavet et Nozière avaient le sourire gêné de néophytes, au seuil de l'initiation. D'autres critiques importants s'installaient, avec un cœur enflé et comme des juges. –Madame Valentine de Saint-Point emplissait une loge en face de celle où Madame Régina Badet était grave et recueillie. Mais, dès le second acte, chacun oublia de garder l'attitude qu'il s'était choisie, les applaudissements spontanés éclatèrent. Le vent du large soufflait sur ces âmes empoisonnées qui s'abreuvent aux scènes des boulevards. –Violaine accomplissait un miracle; et je m'étonnais le lendemain en lisant l’Echo de Paris de ce que M. François de Nion lui-même avait essayé de comprendre.
La jeune fille Violaine aime Jacques Hury et elle en est aimée. La plénitude est dans son cœur de la joie terrestre. Mais parce que le lépreux Pierre de Craon l'aime et souffre, elle le baise au visage et prend son mal: il était si triste et elle était si heureuse! Mara, sa méchante sœur, épousa Jacques Hury. Pour elle, sa part est la douleur. A ces Parisiens qui l'écoutent et qui ne veulent pas souffrir, Violaine enseigne que la douleur est bonne.

“…Le bois où l'on a mis le feu ne donne pas de la cendre seulement mais une flamme aussi.”

A l'instant de mourir elle dira encore que bien des choses se consument sur le feu d'un cœur qui brûle.
Une nuit qui est celle de Noël, Mara va dans la forêt où se cache la lépreuse. Elle lui porte son petit enfant qui est mort. Elle sent obscurément que Violaine souffre assez pour accomplir un miracle. Et Violaine cache sous son manteau le cadavre du petit enfant –l'enfant de l'homme qu'elle aimé. –Tandis que la nuit s'emplit de cloches, de la voix des anges perçue de la seule Violaine, et que des trompettes héroïques éclatent au loin, annonçant que le Roi de France va recevoir la couronne à Rheims, Mara lit l'office de Noël. J’étais inquiet de l'accueil que ferait le public à tant d'audace. Mais les paroles de la liturgie apparaissent mêlées au drame si intimement que je n’ai remarqué dans l'assistance aucun signe de surprise. J'ai discerné chez beaucoup une émotion extraordinaire et qui montait du plus profond d'eux-mêmes. A l'instant où le chœur des anges chante: Et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi Unigeniti a Patre, plenum gratiœ et veritatis, les premières lueurs du jour apparaissent et Mara voit un mouvement sous le manteau de Violaine qui s'écrie.

“Et nous aussi un petit enfant nous est né!”

Mais l'enfant ressuscité n'a plus les yeux noirs de sa mère. Ils sont devenus bleus comme ceux de Violaine.
Violaine qui est aveugle et que Mara conduit près d'une charrette de sable, dont elle lui renverse le poids sur le corps, est ramenée mourante dans la ferme de Jacques Hury. Elle lui explique leur destinée et que le meilleur parfum ne sert pas s'il est contenu dans un vase fermé et c'est pourquoi elle s'est rompue tout entière.

“Aie de moi ceci, mon bien-aimé!

La communion sur la croix, l'amertume comme celle de la myrrhe

Du malade qui voit l'ombre sur le cadran et de l'âme qui reçoit vocation!

Et pour toi l'âge est venu déjà. Mais qu'il est dur de se renoncer à un jeune cœur!”

Mais Dieu a voulu qu’elle connaisse un instant la joie mortelle. Cette résurrection de l'enfant de Mara, dans la Nuit de Noël, fut un mystérieux enfantement.
Et Jacques, enfin éclairé, la salue de nouveau comme au temps de leurs fiançailles:

“O ma fiancée, à travers les branches en fleurs, salut!”

Puis la vie continue, dans un grand apaisement. Ce drame s’est déroulé pendant que le père de Mara et de Violaine, Anne Vercors accomplit en Terre sainte un pèlerinage; il revient. Il veut que tous pardonnent à Mara. Il leur enseigne que Violaine fut sage, parce que le but de la vie n'est pas de vivre, mais de mourir et que la vie n'a de prix que pour. la donner. Et Pierre de Craon le créateur d'églises parle de ses filles de pierre –et quoi qu’en aient dit les critiques, cela est dans le sujet car nous voyons fructifier la douleur de Violaine.
Le public a interrompu d'applaudissements, cette profusion d'image splendides qui évoquent la petite église de l'Epine “comme un brasier ardent et un buisson de roses épanouies”, et saint Thomas de Fond-d'Ardenne “qu’on entend le soir appeler comme un taureau du milieu de ses marécages”. –Langelus sonne dans le couvent de Monsanvierge, pourtant désert. Et tous, les yeux levés, demeurent attentifs au miracle, cependant que le rideau baisse[1].
Après L’Annonce faite à Marie, je n’ose parler de deux autres pièces que j’ai vues: Kismet et La Femme seule.
Kismet (au théâtre Sarah-Bernhard) est traduit de l’anglais par M. Jules Lemaître qui, comme auteur dramatique, ne nous avait rien donné encore d’aussi divertissant. On a dit que ce conte oriental valait surtout par la mise en scène et il est vrai qu’on se croit au Kinémacolor.
Dans La Femme seule (au Gymnase), M. Brieux utilise des coupures de journaux, des tracts et des statistiques afin que nous sachions l'antipathie des syndicats d'hommes pour les syndicats féminins. Nous y apprenons aussi qu'à une jeune fille, le talent ne sert de rien pour vivre, si elle ne possède un amant. La langue de M. Brieux ne ressemble à aucun idiome connu.

Références

  1. A ceux de nos lecteurs qui, ignorant l’œuvre de Paul Claudel, souhaitent la connaître, je recommande une lumineuse étude parue au Mercure de France (numéros du 15 décembre et du 1er janvier) par Georges Duhamel. Il existe aussi sur Claudel de très belles pages des Etudes (édition de la Nouvelle Revue française) par Jacques Rivière.

Current Page Discussion [edit] [history]