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Servitudes populaires

GALLICA_Le Gaulois_1920_05_15.pdf

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L'esclavage est rétabli; c'est la chose du monde la plus incroyable et pourtant la plus vraie. Mais tandis que les maîtres d'autrefois obligeaient les esclaves à travailler, ceux d'aujourd'hui les condamnent à se croiser les bras. Des milliers d'ouvriers sont actuellement touchés par l'ordre de grève de la G.G.T. Il ne s'agit pas d'obtenir pour eux un accroissement de salaire, c'est ce qui s'appelle, chez les tyrans du prolétariat, une mesure de solidarité. A chaque instant, l'ouvrier est ainsi sommé de témoigner à ses frères la plus coûteuse sympathie. Sans doute, une âme sensible se peut émouvoir d'une telle union; la solidarité est la vertu des temps nouveaux: elle usurpe cette place qu'au long des siècles a détenue la charité. Mais aucune vertu ne nous séduit si elle n'est spontanée. Jamais personne au monde ne fut touché par l'ordre d'être charitable, tandis que les ouvriers sont touchés par l'ordre de faire comme les camarades qui ne veulent rien faire! On imagine assez la rage du père de famille très satisfait de ses quarante francs de salaire, et à qui un ukase syndical enjoint jusqu'à nouvel avis de se reposer au tarif uniforme de trois francs par jour.
Depuis qu'il existe des tyrans dans le meilleur des mondes possibles, ils n'eurent aucun autre moyen de dominer leurs esclaves que la terreur. Aujourd'hui, comme il y a mille ans, c'est la terreur qui fonde l'esclavage: on sait comme elle fut organisée, ces jours-ci, dans le Nord. “De même que le servage remplaça l'esclavage, pour être à son tour remplacé par le salariat, de même à ce salariat, un ordre nouveau doit succéder…” Ainsi s'exprimait à la Chambre un socialiste chrétien, qui a toujours parlé avec son cœur. Faisons nôtre cette désuète formule: après l'esclavage, le servage, puis le salariat, puis encore l'esclavage syndical: voici donc l'anneau sans fin rivé aux poignets des travailleurs; partis de l'esclavage, après des siècles de misère, ils y reviennent, –après les travaux forcés, le repos forcé.
Cependant, s'il est un droit que d'abord l'ouvrier exige, c'est le droit au travail. La plus populaire, la plus ouvrière de nos révolutions, celle de 1848, éclata pour que ce droit leur fût garanti. C'est le premier article du “programme au peuple” que fit afficher le gouvernement provisoire: “Obligation pour le pouvoir public de fournir du travail et, au besoin, un minimum à tous les membres de la société…”
Cela revient à toutes les pages de la collection complète des affiches, décrets et bulletins de la deuxième république. Un mécanicien plein de zèle couvrit les murs de Paris d'affiches où il exposait une organisation du travail, “de manière –écrivait-il– qu'il n'y ait plus un ouvrier ou une ouvrière à rien faire…”
Les gens de la C.G.T. s'appliquent, au contraire, à ce qu'il y ait toujours quelque part des ouvriers à rien faire! Pas de relâche! En attendant le chômage universel –idéal, suprême espoir– on se relaie dans l'inaction. Mais combien d'ouvriers trouvent que c'est toujours leur tour de se croiser les bras! Le savetier de La Fontaine n'accuserait plus aujourd'hui son curé de charger toujours le prône d'un nouveau saint; les saints de la C.G.T. ont de plus rudes exigences!
Beaucoup de braves gens savent le remède qui ne saurait être que le syndicat professionnel, par quoi l'ouvrier est à la fois défendu contre les patrons lorsque c'est nécessaire et contre les tyrans extrémistes. Les syndicats indépendants sont nombreux et puissants, et peut-être verrons-nous un jour se constituer une confédération du travail catholique –en attendant cette internationale catholique qu'on s'occupe d'organiser en Italie. Mais il y aura toujours cet instinct éternel des foules pour accepter le joug qu'on leur présente en flattant: elles ne nourrissent guère d'illusions touchant les prébendiers de la rue Grange-aux-Belles et savent qu'il ne fait guère bon à l'ombre de leurs crosses! Mais un prolétaire vous opposera souvent le mot fameux: “Et s'il me plaît à moi d'être battu!”
Persuadé que, quoi qu'il advienne, il sera toujours taillable et corvéable à merci, il choisit le tyran qui flatte ses haines, qui lui promet des jours de vengeance et de justice… Pourtant, nous vivons dans un temps de forts salaires, de lois qui consacrent les privilèges du prolétariat; chacun pourrait, dans la meilleure démocratie possible, sinon “Boire ypocras à jour et à nuictée”, comme chantait Villon, du moins arranger son pauvre bonheur humain, puisque, selon le même poète, “il n'est trésor que de vivre à son aise”... Il s'agit bien de cela! C'est une grande affaire que de fonder la république des soviets et qui exige d'abord que l'ouvrier chôme et meure de faim.

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