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Poèmes de circonstance

GALLICA_Le Gaulois_1920_12_25.pdf

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Qu'on accorde ou qu'on refuse à Rostand du génie, il faut reconnaître qu'il fut le dernier en France à célébrer les grands événements auxquels il assista. La plus longue guerre que nous ayons jamais faite est aussi celle qui inspira le moins d'odes et de sonnets, et aucune victoire ne fit si peu délirer les poètes. A toute autre époque, le Parnasse eût retenti de toutes ses lyres, en l'honneur du soldant inconnu. D'où naît cet unanime discrédit? Car les plus illustre exemples légitiment l'usage de la poésie officielle. A nous en tenir à l'époque classique, Malherbe n'a rien fait que rimer la chronique des rois Henri IV et Louis XIII: Ode au roi Henri le Grand sur la réduction de Marseille à l'obéissance de ce Roi; ode à la reine Marie de Médicis sur sa bienvenue en France; ode au sujet de l'attentat commis sur le Pont-Neuf en la personne de Henri le Grand, etc., etc. Il a même composé un sonnet à l'occasion de la goutte dont Henri le Grand fut attaqué au mois de janvier 1609!
Nous n'imaginons pas M. Millerand flatté qu'un académicien célèbre son arthrite, s'il en était affecté; et nous touchons là à la vraie raison du discrédit où est tombée cette sorte de poésie: c'est une question de régime. Des entrées de Mme la Dauphine, des naissances de Prince royal ne nous donnent plus sujet de composer Les Nymphes de la Seine ou toute autre épître louangeuse qui font inscrire le rimeur sur la liste des poètes pensionnés. L'Académie Goncourt et le comité du prix de la Vie Heureuse ont remplacé le poète Chapelain, distributeur d'écus aux gens de lettres. Mais tant qu'une dynastie occupa le trône de France, les porte-lyre les moins préparés à ces dithyrambes officiels s'y adonnèrent. Théophile Gauthier lui-même délira en l'honneur de la naissance du Prince impérial:

Ah! quel avenir magnifique
Pour son enfant a préparé
Le Napoléon, pacifique
Par les vœux du peuple sacré!

Sans doute fallut-il que le pauvre Théo forçât son talent pour se montrer si mauvais prophète. La muse officielle, fatale aux bons poètes, au contraire secourt les mauvais et inspire les médiocres. Il y paraît à lire les œuvres des ennemis de Boileau qui, presque tous, chantèrent leurs maîtres et les victoires françaises avec bien de l'habileté: plût au ciel que la bataille de la Marne ait inspiré d'aussi belles strophes que celles de l'Ode à Calliope sur la bataille de Lens, par Sarrasin! Les plus grandes beautés y abondent; mais, au vrai, Sarasin fut-il un si médiocre poète? Je le lis avec beaucoup plus d'agrément que son rival Voiture, et c'était un garçon plein de fantaisie. M. de Chavigny l'avait envoyé à Rome, comme aujourd'hui M. Doulcet, en mission secrète. Sarasin aima mieux dépenser avec une dame de la rue Quincampoix les quatre mille livres qu'on lui avait confiées pour plaire au Pape!
Un général français, après son entrée dans Mayence, eût-il été flatté de recevoir ce quatrain dont Collet et fit hommage au duc d'Enghien:

Grâce à ce foudre des Bourbons,
Qui nous rend maîtres de Mayence,
Nous voyons fumer ses jambons
A l'ombre des lauriers de France!

Ce Colletet pourtant adressa un adieu aux champs où l'on trouve des vers comme celui-ci: “Chaste sœur du soleil, déesse vagabonde…”
Cent ans plus tard, Voltaire rimait, avec plus de verve, des flagorneries; mais son innovation fut de ne pas s'en tenir à la Maison de France, et si le roi de Parusse fut le mieux servi, il n'oublia aucun des monarques de son temps, pas même le roi de la Chine! Après les premiers délires de la Révolution, ce fut le déclin du genre; seuls s'y adonnèrent ceux qui portait un goût naturel, comme de notre temps Hugo puis Rostand, tous deux fort excités par les grands “faits du jour”.
Question de régime, disions-nous; question de mode aussi: en poésie comme en peinture, on n'a plus le goût du “sujet”. Surtout plus de sujet officiel. La poésie de circonstance souffre du même discrédit que la peinture d'histoire. “Ah! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie!” Depuis les temps romantiques, les poètes aimèrent mieux se frapper le cœur que de chercher dans le journal du jour de beaux sujets à mettre en vers français; le peuple seul garda le goût de la poésie de circonstances: ce fut le “genre complainte” qui fleurit sur les boulevards, soit que brûle le bazar de la Charité ou que Soleilland fasse des siennes. C'est vrai que les derniers venus ne se frappent plus le cœur et ne se frappent plus de rien: les dadas sont les chevaliers de la table rase! après eux, peut-être les vieux genres refleuriront-ils? Peut-être nos fils rimeront-ils des entrées royales et des retours de cendres et de troupes? Tout recommence.

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