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Les Faux calculs de Drieu

GALLICA_Les Lettres françaises_1944_04_1.pdf

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M. Drieu la Rochelle, qui pourtant est né malin, ne discerne aucune différence appréciable entre l’occupation allemande et celle que, paraît-il, nous avions subie avant la guerre: celle des Américains et des Juifs. La plaisanterie semble un peu forte. Je ne sais trop comment elle sera prise par les veuves et les mères des otages fusillés. Mais lorsque M. Drieu la Rochelle ajoute (dans un article de La Révolution Nationale) que “l’occupation à semelle de fer” lui paraît moins dure que l’occupation “à semelle de caoutchouc”, il nous pardonnera si nous n’avons pas le courage de sourire. Il oublie que cette semelle de fer a martelé le visage des suppliciés.
Quelle gaffe, de la part d’un homme si intelligent! Car M. Drieu la Rochelle a compris pas mal de choses, il faut le reconnaître. Il a compris que la France était un pays de 35 à 40 millions d’habitants et qu’elle avait à se débrouiller dans un univers peuplé de mastodontes anglais, américains, russes, jaunes…
Le remède qu’il nous propose froidement, on le connaît: c’est le mariage de raison avec le peuple à suceoirs et à ventouses qui, depuis quatre ans, se nourrit de notre substance. Cet effort passionné de tout un peuple pour s’arracher à l’embrassement de la pieuvre (après, il y aura d’autres difficultés à surmonter, bien sûr, mais d’abord couper l’une après l’autre les tentacules du monstre!), M. Drieu la Rochelle n’y a pas participé; ce n’est pas assez dire: il a pris parti contre son peuple; il a eu partie liée avec la pieuvre. Lui si français par ses qualités comme par ses défauts, lui, soldat de 1914…
Il aimait la force, le succès. Il en voulait à la France d’être si petite et si faible. Il reprochait à sa mère d’être trop vieille. Ce qui se passait au delà du Rhin et des Alpes l’éblouissait: cette jeunesse mécanisée au service d’un homme…
Mais surtout, en Juin 1940, Drieu a cru que c’était son heure, enfin! —l’heure du vieux jeune homme qui n’avait pas su mûrir. “Mûrir, tout est là, soupirait Sainte Beuve, on pourrit par places, on durcit à d’autres, on ne mûrit pas!” Drieu voyait s’éteindre les feux d’une jeunesse charmante où il plaisait à tous; mais on ne lisait pas ses livres, on ne le prenait pas au sérieux. Il avait beau inventer des titres raccrocheurs, “L’homme couvert de femmes” et autres gentillesses, cela n’intéressait personne. Il voyait partir et monter en flèche le destin de Montherlant, de Malraux. Lui, il n’avançait pas, il faisait époque déjà…
Et, tout-à-coup, balayée par la défaite, la scène devient libre; il ne reste plus personne que des comparses. Les Allemands sont là; les Français se taisent. Drieu est là, lui aussi, pour expliquer le coup. Tous les journaux qui manquent de copie lui sont livrés, sans compter la N.R.F., Drieu enfin tient la vedette; –la vedette d’écrivain politique– (car pour la littérature, le camarade Montherlant ne partage avec personne).
Nous comprenons que “l’occupation à semelle de fer” d’abord lui ait paru douce, à ce commensal de l’ambassade allemande! Mais l’euphorie rend aveugle. Ce Drieu, si fier d’être lucide, n’a pas vu ce que les paysans de chez nous avaient discerné dès les premiers jours et ce que lui-même, trop tard, a fini par découvrir: que toute force est relative et que c’est l’Allemagne aujourd’hui qui, aux prises avec les Anglo-Saxons et les Slaves, fait figure de pygmée.

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