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Si Barcelone tombait...

GALLICA_Paris-Soir_1939_01_22.pdf

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Nos joies nous arrivent presque toujours trop tard en ce monde décevant: des Français que la chute imminente de Barcelone eût fait délirer l'année dernière détournent aujourd'hui la conversation. Peut-être ont-ils lu certaine note de l'Informazione Diplomaties et les commentaires qu'on y ajoute dans les milieux fascistes: “L'Italie ne précisera la nature de ses revendications qu'après l'effondrement de la résistance républicaine. Elle sera alors dans une meilleure position diplomatique pour tenter de faire valoir les aspirations du peuple italien”.
Menace de chantage dont M. Chamberlain serait en droit de se montrer choqué après les assurances reçues. Mais il y a beau temps que le pauvre milicien fredonne dans la tranchée:

Si Alemania e Italia ayudan a Franco
Por algo sera! Por algo sera!

“Si l'Allemagne et l'Italie aident Franco, ce doit être pour quelque chose! ce doit être pour quelque chose!” Evidemment... mais de ce “quelque chose”, à quoi bon discuter aujourd'hui? Les Français de l'un et l'autre parti savent qu'il ne reste plus que d'attendre. Ils se reposent après tant d'injures échangées, et dans mon courrier les lettres anonymes se font rares. Le dénouement approche, c'est lui qui nous départagera. Les faits parlent, comme on dit. Ils parlent, ils crient, ils ne permettent plus à personne, pas même à un journaliste français, de jouer sur les mots.

Là où la polémique finit, l'Histoire commence, et il lui appartient dès aujourd'hui de se prononcer sur quelques points essentiels: en 1926, un premier accord intervint-il entre Primo de Rivera et Mussolini qui déjà aurait obtenu, en cas de guerre, la droit de disposer des Baléares? Le 31 mars 1934, deux chefs de la droite espagnole traitèrent-ils réellement avec le Duce qui se serait engagé à intervenir en Espagne? Devons-nous considérer comme un faux le fac-similé de cet accord publié par le Manchester Guardian, et comme de la vantardise les aveux complaisants de la presse fasciste? Et que penser de ces aviateurs italiens, forcés d'atterrir près d'Oran et qui avaient quitté leur pays à destination du Maroc espagnol, le 15 juillet 1936, quatre jours avant la révolte militaire? Eh bien au cas où il serait prouvé que ce massacre de trois années, sans les ententes secrètes conclues avec l'étranger, n'eût pas duré trois semaines, gardez-vous de traiter, comme vous le faites, de “rouges” et de “marxistes”, ceux qui ont lutté et qui sont morts durant la guerre interminable. Ne disputez pas aux républicains espagnols de toute nuance, aux catholiques basques et à leurs prêtres, l'honneur d'avoir défendu l'Espagne contre ses envahisseurs. Ne laissez pas à la seule Révolution ce privilège, cette gloire.

Mais il existe un aspect du problème qui nous concerne immédiatement. Si un miracle ne sauve pas Barcelone, d'ici quelques jours, peut-être quelques heures, une foule immense et affolée va se ruer une fois de plus sur notre frontière. Pour bien comprendre l'horreur de ce qui se prépare, il faut savoir qu'il existe actuellement en Catalogne, en dehors des autochtones (presque tous séparatistes, donc adversaires de Franco) huit à neuf cent mille réfugiés venus de toutes les provinces occupées par les nationalistes, et que leur seul état de réfugiés classerait d'office parmi les suspects, même si un grand nombre d'entre eux n'appartenaient pas aux partis révolutionnaires.
Si Barcelone tombe, sur cette France déjà saturée de Russes, d'Autrichiens, de Tchéco-slovaques, d'Allemands, va donc déferler cette énorme vague à la fois pitoyable et redoutable, d'hommes, de femmes et d'enfants, peut-être harcelés par quelques-uns des six cents avions de Franco à qui le rétrécissement du front laissera des loisirs.

Que faire? Des vaisseaux anglais et français les recueilleront-ils à Barcelone même? Pouvons-nous leur permettre de gagner Bordeaux d'où ils seraient embarqués à destination du Mexique? Mais sur quels bateaux? En dehors des solutions de cet ordre, il ne reste que de se boucher les yeux et les oreilles, et, grâce à une véritable mobilisation, de leur interdire l'accès de la frontière, de les abandonner à leur destin. Quel destin? Je disais à l'un d'eux qui repart pour la fournaise: “Votre nombre même vous sauvera.” Mais il m'assure que le vainqueur a inscrit sur ses listes deux millions de suspects. Deux millions! et il faut entendre le son terrible que rend dans une bouche espagnole ces trois mots: crimen de pensamiento... Crime de pensée...

Et sans doute, le général Franco promet l'apaisement et le pardon. Et puis l'Eglise reste… Quel rôle sublime auraient encore à jouer les archevêques et les évêques d'Espagne! Nous nous permettons de rappeler respectueusement à S. E. le cardinal Goma les plus belles paroles qu'il ait prononcées depuis le commencement de la guerre civile: “Bien plus que l'anéantissement de nos ennemis, nous demandons leur réincorporation au véritable esprit national, en attendant, les bras ouverts, le jour où tous les Espagnols pourront se donner le baiser fraternel, comme fils d'un même Dieu et d'une même patrie”.

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