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Jacques Noir, L’Ame inquiète —Alfred Mortier, Le Temple sans Idoles —Paul Castiaux, La Joie vagabonde

BnF_Revue du Tps présent_1909_10_02.pdf

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Jacques Noir: L'Ame inquiète. –Le livre de M. J. Noir débute par une préface qui est admirable et dont vous goûterez comme moi la troublante solennité. Je cite: “L'auteur estime dans sa solitude deux choses évidentes, d'abord que chez le poète se donnant à la foule l’orgueil est un gage indiscutable de sincérité; ensuite que l'œuvre offerte est absolument, du sens même de celui qui la fit, parfaite et définitive..... Alors de toute son énergie tendue il dit simplement ceci: “Foule, me voici!
Que répondra la foule à la noble simplicité de telles paroles, et peut-elle mieux faire que rester silencieuse et admirer?... L’auteur nous avoue que “depuis déjà longtemps il a pensé et écrit ces pages”. –Et, en effet, elles ont le charme très réel du cahier que tout rhétoricien mélancolique dissimule au fond de son bureau. M. Jacques Noir dut mettre souvent, en étude, son dictionnaire latin-français sur son lexique français-latin, et à l'abri de ces doctes volumes, rimer pour une Laïs imaginaire ces poèmes d'un romantisme effréné mais délicieux. Il excelle surtout à dire dans les soirs monotones et vides sa solitude et sa mélancolie. Il cherche sa formule et nous la livre sans hésitation:

Mon âme est celle d'un cloporte,
Et je vais, mes mille pattes recroquevillées sur la vie.

L’amour même ne le peut consoler. Il est vrai qu'il y porte une âme bien farouche:

Et parce que je suis cet être ténébreux
Devant ton corps doré, mes yeux meurtris voient rouge...
...Si je ne fuyais pas, je te tuerais à cause
De ton corps insolent et de mon corps de gueux.
Avant je te ferais pleurer à ma manière
En mordant ta chair comme un fou,
Après je te tordrais le cou,
Et prendrais l'or de ta crinière
Et les diamants de tes yeux
Que je t'arracherais de leur orbite affreux. Etc., etc.

Tout commentaire diminuerait l'effet de ce réalisme saisissant. D'ailleurs à la page 109 nous apprenons que le poète est apaisé. Il a trouvé une raison de vivre et un culte: celui de la Beauté. Et la Beauté ne se montre pas ingrate envers son serviteur et lui donne

Le laurier toujours vert de l'immortalité.

Certes M. Jacques Noir a la foi qui transporte les montagnes et qui peut rendre ses vers immortels. Il dit quelque part:

A la foule qui ne meurt pas, je les confie.

Puissent-ils faire comme la foule, et ne pas mourir. “J'en accepte l'augure et j'ose l'espérer.”

Alfred Mortier : Le Temple sans Idoles (Mercure de France). –“On n'est jamais bon quand on aime”, dit un héros d'Anatole France dans le Lys rouge. Les poèmes de M. A. Mortier, qui tous célèbrent avec une audace habile et une précision souvent choquante les jeux de l'amour, me semblent exprimer surtout la haine et le mépris de la femme. Je cite au hasard:

A de certains instants je crois que je te hais,
.....Car je sens tout autant que ton cœur me déteste.
Je douterais vraiment de t'avoir asservie
Si, passés les trompeurs élans de frénésie,
Dans tes yeux, maintenant libérés de l'émoi,
Je ne voyais monter la haine d’être à moi.

La femme vaincue par l'homme lui apparaît comme une esclave méprisée. Il la définit:

Une petite brute étonnamment sensible.

Il estime que la petite brute ne saurait mieux faire que de combiner des toilettes et que les seuls chiffons peuvent intéresser cette cervelle minuscule:

Car il n'est rien de plus grave
Que de préparer l'amour.
Et la femme, cette esclave,
Y médite nuit et jour.

Quand l'esclave a donné au maître tout le plaisir possible, il ne lui reste plus qu’à s'en aller discrètement:

Songeons du moins qu'aucun effet de mélodrame
Ne ridiculisa la scène des adieux.

Cette psychologie cruelle de ceux qui disent s'aimer ne m'a guère séduit, non plus que cette ironie féroce et trop continue. Mais on sent, à la mélancolie de certains vers, que le poète doute parfois que l'on puisse donner le nom d'amour à ces liaisons d'une heure, et dont il connaît la misère. Sa jeunesse, uniquement organisée pour l'amour, ne l'a peut-être jamais rencontré.
Un jour il crut pourtant que sa fantaisie allait se fixer:

.... Et lorsque d'elle je m'épris,
Pour la première fois je compris
Que j'allais connaître l'amour...
Mais, hélas! après peu de jours
C'est celle-ci précisément
Qui est morte...

En face de ce tombeau, l'amant ironique et cruel montre un peu de souffrance vraie. Peut-être sent-il confusément que son cœur ignore tout de ce que savent des adolescents simples et purs, et que don Juan est sans doute l'homme du monde qui a le moins aimé...

...Hélas! Hélas! c'est l'heure
Où le remords grandit dans mon cœur tourmenté,
Le remords éternel de t'avoir mal aimée...
Non, je n'ai pas compris la majesté tranquille
Du ciel consolateur que reflétaient tes yeux
Et je n'ai pas compris, cœur stupide et débile,
Combien le tien fut sûr, tendre et mystérieux.

Ces derniers vers montrent de quelle forme splendide M. A. Mortier sait revêtir sa pensée. L'emploi de vers libre est chez lui presque toujours judicieux et d'une négligence qui n'est qu'apparente.

Paul Castiaux : La Joie vagabonde (Mercure de France). –Vous trouverez dans la Joie vagabonde, minutieusement exprimées, les sensations du poète en face d'un horizon à une certaine heure; pour en fixer chaque nuance, le vers se fait souple et changeant. Le poète, inquiet seulement d'images justes et inattendue, néglige de chercher des rimes ou même des assonances, –et du paysage ainsi obtenu il s'applique parfois à dégager un symbole:

Etirant, langoureux, leurs torses d'or sanglant,
Des nuages adolescents sommeillent nus
En l'extase infinie d'un beau soir immobile.
Et silencieux, lentement, voiles pendantes,
Frappant la mer, au clair clapotis de ses rames,
Une barque de pêche remonte vers le port
Où cligne l'incendie épars des premiers feux
Définitif et solennel comme un adieu
Glisse dans la pénombre
Un fantômal transatlantique.

Le jour qui meurt, un bateau qui s'efface dans la brume, prennent peu à peu, aux yeux du poète, un sens symbolique, et tous les souvenirs lui reviennent d'un ancien amour:

Nous devons regarder le soir et notre amour
A cet instant définitif d'unique adieu...

Le talent de M. Paul Castiaux nous apparaît donc comme très personnel –encore qu’il soit facile de s'amuser au petit jeu des rapprochements, et qu'on puisse découvrir les influences nombreuses que le poètes a subies. J'en veux noter quelques-unes –et que l'auteur me pardonne si dans son œuvre je vois des ressemblances avec des vers qu'il n’a jamais lus. Car il y a d’étranges hasards, et le plus habile peut s'y tromper.
Il est certain que le poèmes intitulé “Dimanches” n’est un pastiche –d'ailleurs excellent– des “dimanches” de Jules Laforgue:

Ah! c'est encor dimanche au cœur de cet automne...
Le beau jour du Seigneur inoculé de spleen!
Et pour se reposer, ainsi qu'il est écrit,
Du coutumier manège encrassé des semaines,
Les bonnes gens
Exacerbent l’ulcère à vif de leur bêtise.

Les fervents admirateurs d'Albert Samain retrouveront le vocabulaire complet de ce poète dans le “lied au crépuscule”:

Le soir tout frémissant comme un sanglot d'amour
Se dorlote aux terrasses bielles du crépuscule
. . . . . le crépuscule tout vibrant d'agonie lente
Se parfume indiciblement de violettes...
Donne-moi tes mains nues,
Que je les presse sur mes yeux comme deux fleurs!

Rappelez-vous l'élégie du “Jardin de l'infante”, où Albert Samain dit aussi:

Mets sur mes yeux tes mains douces comme les fleurs...

Voici deux vers que les auteurs de “à la manière de...” auraient voulu trouver pour un pastiche de la comtesse de Noailles:

O lumière divine et toi, divin Matin,
Je veux étreindre votre cœur contre mon cœur!

Dans le poème intitulé “La Route dans la lumière”, M. P. Castiaux nous dévoile sa philosophie: c'est le nietzscheisme facile et un peu naïf à l'usage des littérateurs. Le poème oppose au vieil idéal religieux

la simple vie si belle en sa nativité...

Vous connaissez le thème, il vaut la peine qu'on le développe, et j'aurais voulu que M. P. Castiaux le fît en bonne prose avec de solides arguments. Mais cette façon de résoudre un problème aussi complexe en vers solennellement affirmatifs est faite pour crisper les gens qui ont le goût de raisonner:

Les hommes
Ont crié le blasphème de leurs religions
Devant la face auguste et sereine du ciel...
Et ne comprenant pas qu'ils étaient eux les seuls,
Les vrais dieux...

Hélas! L'homme n'est pour lui-même qu'un bien petit dieu... –Malgré la préciosité du vocabulaire, la recherche de certaines images, et une prosodie dont beaucoup jugeront les libertés excessives, l'œuvre de M. P. Castiaux révèle un talent très riche et surtout très personnel. Son livre, une fois feuilleté, n'est pas de ceux que l’on oublie. Au déclin de ces grandes vacances je me réserve comme une joie d'y relire des évocations de crépuscule sur les jardins et sur la mer.

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