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La Possession, pièce en quatre actes de M. Henry Bataille, au théâtre de Paris - Coliche et Griffelin, pièce en trois actes de M. H. L. Bénières, au théâtre de l'Odéon

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M. Bataille souffre de ne pouvoir plus nous surprendre: comment étonnerait-il des gens qui s'attendent au pire et sont assurés de n'être pas déçus? Depuis le Phalène, il s'efforce en vain d'être au-dessous de lui-même: voici dix ans qu'il a touché le fond. Une mère, à la retraite, vend sa fille Jessy à un grand seigneur quinquagénaire et débauché? Nous le voulons bien. Jessy, au moment du sacrifice, se ravise, et suit sur la Riviera un jeune garçon avec qui elle jouait, petite fille, comme on joue avec le feu? Mais c'est une berquinade! Le fils du grand seigneur débauché aide à cette évasion pour faire des traits à sa canaille de père? Voilà de bien inoffensives épices! Ce bon jeune homme fait vivre de ses deniers, à Nice, le couple amoureux: Jessy le paie en nature. C'est l'usage. Le petit amant découvre la trahison; Jessy l'abandonne, il se tue; une grue soûle danse autour de son cadavre en prisant de la coco. Ici, M. Bataille s'enfle, se travaille, invoque le démon des luxures et continue d'être irrémédiablement anodin. Le vieux seigneur débauché et sans rancune emmène Jessy dans son beau château... et tout cela est d'un enfantillage qui désarme et seul l'ennui que dégage un tel spectacle nous défend de le juger inoffensif.
Au théâtre, tout ce qui est inhumain est insignifiant. Le crime de M. Bataille n'est pas de nous peindre des monstres, mais de ne savoir pas leur insuffler la vie. Non contents de se soûler et de priser de la coco, ses personnages pourraient s'enfoncer des épingles dans la plante des pieds, cela ne nous ferait ni chaud ni froid, parce qu'ils sont en carton. On ne saurait reprocher à un artiste le choix de son sujet, s'il en tire une œuvre vivante. Mme Colette, dans Chéri, nous montre de vieilles courtisanes, un gigolo douteux, un fumeur de drogue, —enfin elle puise à la même fosse que M. Bataille, mais elle, du moins, donne la vie. Sans doute, même réussies, ces pièces ont le défaut de supprimer le conflit: on pourrait définir cette sorte de théâtre “des instincts qui ne se heurtent à rien” et l'opposer à la formule classique “les passions contre la loi”. Les lois absentes, l'unique ressort dramatique demeure l'entre-choc de ces instincts; il importe donc que les protagonistes vivent, saignent pour nous émouvoir et qu'ils expriment avec le plus possible de pathétique la misère de l'homme sans Dieu. Mais la Possession ne nous offre aucun autre sujet de méditation que la misère du dramaturge impuissant.
M. Bataille a-t-il eu, comme on me l'assure, un autre dessein qui serait, pour aider au bolchevisme, de peindre la société abominable? Mais là encore il échoue, parce que vouloir qu'une vieille cocotte, sa fille et un vieux marcheur représentent la société française, revient à faire tenir tout l'art français dans un jeu de cartes postales obscènes. Nous ne nous défendons pas d'aimer la Méditerranée, parce qu'au bas de la terrasse de Monte-Carlo un peu d'écume roule des bouchons de Champagne et des coquilles d'huîtres. Les estampes polissonnes de M. Bataille ne persuaderont personne de l'urgence qu'il y aurait à changer nos institutions. L'œuvre de Marcel Proust, où le “monde” parisien se reflète avec une terrible exactitude, si j'étais socialiste, fortifierait mon désir de chambardement. (Mais il faudrait alors que je fusse dépourvu de toute imagination et incapable de me représenter les sabbats du monde bolcheviste !) Le théâtre de M. Bataille n'a, au contraire, aucune signification sociale: il n'exprime rien du monde vivant; il ne peut pas servir à l'histoire de la société, mais à celle de M. Bataille lui-même; et seuls, sans doute, des médecins le pourront consulter avec profit.
Mme Yvonne de Bray ne réussit pas à rendre aimable cette infâme Jessy qui préfère à tout le luxe, et qui a le mauvais goût de ne pas aimer mieux M. Paul Bernard qu'une automobile. Elle n'est possédée que parce qu'elle est à vendre. Elle ne nous intéresse pas. Mme Yvonne de Bray, dans le rôle d'une créature si basse, devrait moins gémir. D'autant qu'elle gémit mal. Mais Mlle Sylvie, qui tient l'emploi d'une intoxiquée, petite grue et surtout M. Paul Bernard sont admirables; ils sauvent, par leur talent, la scène la plus scabreuse, et nous condamnent à applaudir.
M. L. Bénières, pour être sûr de faire une bonne pièce a recommencé l'Avare. Ses deux avares réunis, Coliche et Griffelin, ne valent pas tout de même le seul Harpagon. L'avare de M. Bénières ne commande pas des haricots, mais des radis; on ne lui vole pas une cassette, mais un coffre: tel est l'apport personnel de l'auteur dans sa collaboration avec Molière. Ne pouvant rien ajouter, il a retranché: son avare n'est pas amoureux et il n'est pas père; c'est un métier que de démonter un chef-d'œuvre comme on démonte une pendule. L'Avare ainsi dépecé ne manque pas d'agréments et les morceaux en restent bons.

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