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L'Heure du berger, pièce en 3 actes de M. Édouard Bourdet, au théâtre Antoine - Le Mangeur de rêves, pièce en neuf scènes et un prologue par H.-R. Lenormand, à la Comédie des Champs Élysées

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Tonio Lartigue, Olympio du Béarn, fait de quotidiens pèlerinages à la villa que sa mère imprudente avait louée, l'autre saison, à une coquette, et où il fut un amant heureux puis délaissé. Pour rompre le charme, Mme Lartigue, à l'insu de son fils, loue la villa au professeur Bellavoine, savant ridicule et toujours dans la lune, mais père d'une délicieuse fille: Francine. Tonio, d'abord, jette feu et flamme, jusqu'à ce qu'il trouve bien agréable de raconter son chagrin à Francine. C'est un enfant gâté comme tous les enfants irrésistibles. Pour un aussi habile homme que l'auteur du Rubicon, ce n'est qu'un jeu de faire se rencontrer la pure jeune fille et la méchante maîtresse qui rôde autour de Tonio et en redemande. Dès le premier acte, les spectateurs ne doutent pas qu'ils connaissent le dénouement et s'admirent en eux-mêmes de leur perspicacité. Mais M. Édouard Bourdet leur joue un tour à sa façon en ne concluant pas le mariage de Francine avec Tonio. Cette Antigone amoureuse et aimée et de qui Tonio demande la main ne se résigne pas au désespoir de son imbécile de savant de père. (Pourquoi au théâtre, quand la pièce n'est pas de M. de Curel, tous les savants font-ils figure d'ahuris et de gâteux?) Francine, bonne fille dans toute la force du terme, restera avec son père mais deviendra la maîtresse de Tonio, qui est d'ailleurs son cadet. Plus tard, ils “régulariseront”, si le cœur leur en dit. Ce dénouement n'est pas maladroit; il pourrait être psychologiquement vrai; mais il aurait fallu que nous connaissions un peu mieux la jeune fille. Au long de ces trois actes, un charmant, un léger dialogue nous enchante, nous grise, nous étourdit; nous ne songeons qu'à rire et qu'à applaudir... Seulement, lorsque, à la fin, Francine choisit, sans crier gare, de passer le Rubicon, nous nous avisons que cette petite personne-là nous est mal connue. Ce caractère offrait à l'auteur dramatique des possibilités: il aurait pu être traité en profondeur. Et sans doute ce n'aurait plus été la mousseuse et jolie comédie que M. Édouard Bourdet a écrite pour notre joie et pour la sienne —comme on s'entraîne avec des exercices de souplesse avant de se livrer à des jeux plus sérieux. En bref, ce dialogue allègre, vif, ne nous préparait pas à un dénouement étrange et triste, certes, mais humain. Mme Marthe Régnier continue d'être la Petite Chocolatière, la gentille Miquette, l'interprète unique de ce théâtre léger. M. Lagrenée est véhément, tendre et nigaud à souhait. Tous concourent au succès de cette comédie réussie au point que nous crierions au miracle si M. Édouard Bourdet n'était pas l'un des auteurs dramatiques dont nous sommes en droit d'attendre une œuvre.
Si le vieux théâtre parisien donne encore de loin en loin une fleur comme cette Heure du berger, nous le voyons tout de même s'étioler, dépérir: sa fin est proche et c'est pourquoi il faut être indulgent aux erreurs de ceux qui, comme M. Lenormand et M. Pitoëff, cherchent autre chose. Tout est à reconstruire. On ne peut même plus, comme le voulait naguère Copeau, fonder quoi que ce soit, au théâtre, sur l'indignation: il n'y a plus matière à s'indigner; il faut hausser les épaules et demander son vestiaire. Nous ne reprocherions donc pas à l'auteur du Simoun que son nouveau drame: le Mangeur de rêves, soit une illustration des théories de Freüd, s'il avait observé la vie sans arrière-pensée de servir le “freudisme”. Mais au long de ces neuf scènes, à chaque instant il oblige le réel à se conformer aux vues du savant allemand. L'artifice est si flagrant que tout le drame, qui pourrait être tellement pathétique, en est glacé. M. Georges Pitoëff a créé avec un art consommé ce rôle de Luc de Brante de qui le métier dans la vie est, en quelque sorte, de délivrer les âmes, en leur arrachant leurs secrets, tout ce qu'elles refoulent dans leurs abîmes. Il les allège de leurs rêves, il mange leurs rêves et aussi les guérit... ou les perd. Car des deux femmes sur lesquelles il travaille, l'une, miss Fearon, à qui il a révélé ses instincts criminels, devient une voleuse, une aventurière forcenée; l'autre, Jeannine Felse, se suicidera... Mais comment rapporter ici l'obsession qui tue cette femme? Il s'agit de la fameuse théorie freüdienne: le crime que tout enfant commet au berceau contre ses parents. Inutile d'insister sur ce thème étrange de la psychanalyse. Laissons en disserter les hommes de science et les gens du monde; mais en ce qui concerne les petits enfants, écoutons, plutôt que celle de Freüd, la parole infinie: “...Laissez ces petits enfants venir à moi, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent...”
Le décor idéologique de M. Pitoëff, tout en lignes symboliques, est celui qui convenait à cette œuvre irréelle.

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