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Le Blanc et le Noir, comédie en trois actes de M. Sacha Guitry, au théâtre des Variétés - Le Mariage d'Hamlet, pièce en trois actes et un prologue de M. Jean Sarment, au théâtre de l'Odéon - Représentation de l'Atelier au théâtre Montmartre

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Mieux qu'aucune autre pièce du fameux comédien, le Blanc et le Noir nous incite à méditer sur ce qu'il faut bien appeler le mystère de Sacha Guitry. Car M. Sacha Guitry a son mystère dont voici à peu près la formule: comment les ouvrages de cet auteur, qui relèvent presque tous du vaudeville le plus facile et de la plus énorme farce, ne nous touchent-ils pas bassement, mais flattent au contraire ce qu'il y a en nous de délicat? Pourquoi, après avoir ri à des calembredaines selon l'esthétique du Palais-Royal, en gardons-nous une satisfaction qui les dépasse? Un Courteline, un Tristan Bernard, s'ils sont d'aussi gros farceurs, nous voyons bien qu'ils prétendent peindre des caractères et qu'ils se haussent par là jusqu'à la littérature. Mais nous chercherions en vain dans le théâtre de M. Sacha Guitry une étude aussi poussée que celle de Boubouroche ou de Tripleplatte; dans ce sens, notre auteur-comédien ne va guère au delà de l'ébauche et de l'esquisse: ce ne saurait donc être lui le peintre de caractère, lui qui s'est acquis pourtant, dans le théâtre d'aujourd'hui, une place si éminente qu'elle est, selon quelques-uns, la première.
Mais justement le Blanc et le Noir, qui triomphe ces soirs-ci aux Variétés, est le vaudeville le plus vaudeville qu'on puisse rêver et l'intrigue en paraîtrait grossière même à M. Quinson: une petite dame nerveuse et mal élevée, après une querelle de ménage, jure de se donner par vengeance au premier venu qui se trouve être un immense nègre, et c'est le premier acte. La petite dame met au monde un enfant noir: hasard que tout nécessitait. Tout ce que la folle fantaisie de M. Sacha Guitry invente autour de cet accouchement, si nous en rions aux larmes, ne mérite à aucun degré “le fin sourire de connaisseur”; l'admirable André Lefaur, mari mal résigné d'une actrice, miss Campton, et surtout Germain, médecin accoucheur et amoureux, s'en donnent à cœur joie. Secondé par de tels interprètes, M. Sacha Guitry, bien loin d'atténuer des effets trop faciles, y ajoute à profusion des quiproquos et des coq-à-l'âne qu'un débutant ne ramasserait pas. Et le plus fort est que nous en sommes enchantés et que nous ne demanderions pas mieux qu'il en rajoutât. Mais, au troisième acte, apparaît le bout de l'oreille; ou plutôt (puisqu'il s'agit ici du lion caché sous la peau de l'âne) le bout de la crinière. Alors qu'un vaudevilliste dénoue au petit bonheur ses ficelles, M. Sacha Guitry, lui, s'attarde à un dénouement subtil qui nous donne une émotion plus délicieuse d'être à ce point inattendue. Pendant que l'accouchée dormait encore, on a substitué au négrillon un bébé de l'Assistance publique. Ainsi, voyons-nous la belle Mlle Marnac qui tient à la perfection le rôle, au jour de ses relevailles, délivrée de son angoisse, persuadée que son enfant est blanc et presque heureuse. Son mari (Raimu), venu pour la condamner et pour la chasser, faiblit devant tant de joie qu'il faudrait détruire. D'ailleurs, il aime déjà ce petit enfant qui n'est pas de lui. Il se taira donc et la jeune femme ne saura même pas qu'il sait...
Mais, direz-vous, ce charmant, ce miséricordieux mari, ne se montrait-il pas déjà au milieu des farces des actes précédents? Certes il y était, comme il est aussi par une étonnante ubiquité chaque soir et à la même heure au théâtre Édouard-VII où n'en finit pas de faire salle comble Une petite main qui se place. On se souvient que l'intrigue en est à peine plus relevée que celle de le Blanc et le Noir: un brave rentier du Midi, exilé à Paris où il se désennuie en jouant au médecin, s'éprend de la petite bonne et découvre qu'il est un mari trompé au moment même que cette découverte peut le moins l'affliger puisqu'il y gagne d'être libre et d'épouser ce qu'il aime. Comment, sur une si vulgaire donnée, M. Sacha Guitry a-t-il bâti trois actes à peine plus drôles qu'émouvants? C'est vrai que le sujet de Phèdre ou de Tartuffe peut tenir dans deux phrases...
On écrit couramment que M. Sacha Guitry est à la fois l'auteur, l'acteur et le sujet de ses pièces. Mais que faut-il entendre par là? Quand nous étions enfant, cela nous troublait que la grande personne qui, derrière un livre renversé, faisait se mouvoir et se battre deux marionnettes, ne cachât pas son visage. Entre les fantoches gesticulants, nous discernions cette face vivante et mystérieuse qui, si près de Guignol et du gendarme, nous semblait énorme, démesurée, quasi divine; et sa présence nous rassurait sur les bastonnades des marionnettes. Ainsi derrière les personnages de M. Sacha Guitry nous apparaît toujours un visage qui, d'ailleurs, n'est peut-être pas le sien (il faudrait le connaître pour s'en assurer). Mais il est certain que sur les trois actes des Variétés plane ce même esprit qui transfigure toute farce de Sacha Guitry et qui l'ennoblit. Et c'est pourquoi l'auteur-comédien se permet ce que n'oserait même pas un faiseur de revues et lâche des mots dont on dédaignerait de rire au Palais-Royal. L'illusionniste nous montre ses ficelles grosses comme des câbles et les élastiques des boules avec lesquelles il feint de jongler. Nous rions de confiance, nous ne nous défendons pas; sachant qu'à un endroit imprévu de la pièce, une charmante sagesse nous est promise, sagesse qu'il serait vain d'analyser; mélange où, quand M. Sacha Guitry était plus jeune, le cynisme sinon la muflerie l'emportait sur la tendresse, mais il nous paraît aujourd'hui bien plus tendre que cynique. Et c'est dans le Blanc et le Noir ce mari, soudain épris du petit enfant qui n'est pas de lui et, lorsqu'il voit sa jeune femme repentante, heureuse et tranquille, cette faiblesse qui lui défend le mot par quoi serait détruit ce bonheur. Comme nous sentons alors la bonté quotidienne du mensonge et de l'injustice!
Et nous sommes bien tranquilles avec M. Sacha Guitry; pas de couplet, cela va sans dire, mais même pas un mot plus haut que l'autre; il ne s'arrête jamais sur l'émotion éveillée; il n'appuie pas; il n'exploite pas; aucune larme n'a le temps de naître. Il ne consent à l'outrance que dans la farce, parce qu'au théâtre l'outrance n'est supportable que là. C'est sans doute ici qu'il n'est pas défendu de prononcer le nom de Molière: non que nous voulions comparer les œuvres, bien que M. Sacha Guitry soit en droit de rappeler que Molière avait trente-sept ans, en 1659, l'année des Précieuses ridicules, et qu'il n'avait jusque-là rien donné qui fût grand. En dépit de Boileau, c'est justement dans le sac où Scapin l'enveloppe que se reconnaît l'auteur du Misanthrope et ceux qui procèdent de son esprit. C'est cette verve débridée, ce débordement sans contrôle dans la farce qui dénonce le plus sûrement au théâtre l'auteur capable d'atteindre le fond humain. Le pitoyable théâtre d'aujourd'hui nous en fournirait maintes preuves: un Courteline, un Tristan Bernard, un Sacha Guitry l'emportent de beaucoup sur des dramaturges poussiéreux et sinistres que la charité nous défend de nommer. L'auteur de Deburau, de Pasteur sait, mieux que d'autres, parler à demi-mot et à mi-voix. Quand il passe la mesure, nous savons qu'il le fait exprès.

L'Odéon donnait justement ces jours-ci l'œuvre d'un autre jeune auteur-comédien, M. Jean Sarment, mais dont la ressemblance avec M. Sacha Guitry s'arrête à ce cumul. Dès la première scène du Mariage d'Hamlet, les intentions de M. Jean Sarment sont visibles et aussi ses prétentions. C'est encore un “ fantaisiste”, mais sa fantaisie nous a paru appliquée et de seconde main. Nous ne lui reprocherions pas d'avoir pris son Hamlet dans Laforgue si seulement il nous avait permis une minute de l'oublier. Rien n'attriste autant un honnête homme qu'une imitation d'humour; et bien qu'au théâtre l'effort vers la grandeur soit honorable et louable même, osons le demander: qu'y a-t-il de plus accablant? Peut-être sommes-nous injuste; d'excellents critiques ont salué en M. Jean Sarment une promesse magnifique et nous en acceptons bien volontiers l'augure. Le premier acte du Mariage d'Hamlet nous avait d'ailleurs paru fort bon, mais il épuisait les “possibilités” des deux autres et, à peine commencée, la pièce semble finie. Lorsque le Père Éternel a décidé de ressusciter Hamlet, Ophélie et Polonius, et de leur donner la petite maison dont ils rêvent à la lisière d'un bois, nous savons déjà comment va tourner l'expérience. Déjà Hamlet cherche du pied la traîne de son manteau absent, pleure son ancien rang, s'assomme auprès d'Ophélie; déjà Polonius songe à rendre, à tort et à travers, la justice. Cédant aux objurgations d'un faux fantôme, Hamlet abandonnera sa femme le soir de ses noces pour courir les aventures et venger un grand-père. La pièce ici, sur nouveaux frais, recommence: Hamlet reviendra après avoir découvert qu'il n'était pas le fils du roi, mais d'un palefrenier. Dès lors il s'humilie jusqu'à garder les cochons de Polonius qu'il tuera à la fin, naturellement. Les paysans le lapident ainsi que la servante qu'il a séduite, qui s'appelle Ophélia et qui aurait dû, pour la symétrie, s'aller jeter dans l'étang. Encore une fois, cette fantaisie un peu laborieuse a beaucoup plu et mériterait peut-être de grandes louanges. Mais il y a souvent chez certains critiques une fatigue qui les rend impropres à se plaire aux grands sujets.

La compagnie de l'Atelier, que dirige M. Charles Dullin et qui s'est installée cette année au théâtre Montmartre, a donné une excellente représentation de Carmosine d'Alfred de Musset et de La Mort de Souper, moralité en un acte de Nicole de La Chesnaie, adaptée par Roger Sémichon. Nous attendons son prochain spectacle pour consacrer à cette jeune compagnie l'étude qu'elle mérite.

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