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Enquête sur la jeune littérature - Les maîtres de la jeune littérature - Les Romanciers (IV)

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M. FRANÇOIS MAURIAC

M. Roger Allard remarquait récemment à propos de M. Carco que c'est un très bon signe qu'un romancier ait commencé par publier des recueils de vers. Il y a là comme une garantie de probité, de tenue artistique qui n'est que rarement démentie. Les vers de M. François Mauriac sont de ceux auxquels il nous est le plus agréable de penser. Ils sont parmi les vers d'adolescent les plus justes de ton qu'on ait écrits; c'est dire, je pense, que ce sont des vers de vrai poète.
M. Mauriac ne reviendra-t-il plus à la poésie? Nous ne consentons point qu'il y ait renoncé sans retour. Mais c'est aujourd'hui le roman qui occupe la plus grande part de son activité. Et voici qu'après la Chair et le Sang, après Préséances, le public a été unanime à voir dans le Baiser au lépreux un chef-d'œuvre.
M. Mauriac y avait eu le rare bonheur de rencontrer un grand sujet, humain, émouvant: le malentendu physique de deux époux, par ailleurs les plus honnêtes gens du monde, et qui ont l'un pour l’autre de l'estime, une affection véritable, tout enfin, hors de l'amour. Thème délicat, hardi peut-être: mais il faut bien que le roman ose donner de la vie une image véridique. Et l'art de M. Mauriac, d'une discrétion rapide et sûre, est capable de projeter de vives lumières jusque dans les profondeurs les plus troubles du cœur. Il est à la fois analyste et poète. Quand un romancier sait unir ces deux dons, soyez sûr que cela peut le mener loin.

I° Les maîtres à qui je dois le plus, je commence à croire que ce sont ceux dont j'ignore l'œuvre. La grande occupation des critiques qui épluchent un roman est, en effet, d'y débusquer tous les “gidismes”, tous les “barrésismes”. Je ne dois que des “éreintements” à ces maîtres trop admirés qui, à vingt ans, m'imposèrent des attitudes d'esprit et des tours de phrases dont je commence seulement à me débarrasser. Ma gratitude ira donc à d'autres maîtres vénérables près desquels j'aurai passé, n'ayant rien demandé et n'ayant rien reçu. Une pudeur teintée de prudence me défend seule de les nommer ici.
Pour être franc, j'admire mes camarades qui connaissent leurs maîtres et les dénoncent avec la même assurance que s'il s'agissait de leur tailleur. Sans doute avez-vous pratiqué ce jeu dangereux que Paul Morand, dans son fameux Ouvert la nuit, nous enseigne? Sur une liste où figurent intelligence, distinction, talent, beauté, élégance, etc., chacun se donne des notes que le voisin corrige. Eh bien! il serait amusant de corriger la liste des maîtres que mes jeunes confrères s'assignent en toute bonne foi. Il n'est pas bon que nous choisissions nous-mêmes nos ancêtres, parce qu'alors nous prétendons tous à la cuisse de Jupiter. J'imagine Bourget, Barrés et Gide en leurs cabinets, Balzac, Stendhal et Baudelaire sous les myrtes immortels, se répétant après avoir lu votre enquête le vers de Booz:

Se pourrait-il, Seigneur, que ceci de moi vînt?

et je crois voir le spectre de Paul Féval (ce charmant auteur de France trop dédaigné et si supérieur au mulâtre Dumas) accuser Barrés et Bourget de détournement d'enfant. C'est vrai qu'un romancier de l'école du cher Féval peut, dans son particulier, professer la doctrine Bourget-Barrès-Maurras, sans que ses livres en reflètent rien et qu'une œuvre, que littérairement nous portons aux nues, souvent ne déteint pas sur notre vie intérieure. J'ai préféré à tout Anatole France quand j'avais quinze ans et ce fut justement pour moi un temps de crise mystique.
Faut-il concevoir le Parnasse comme un marché où les débutants se fournissent de psychologie chez Balzac-Stendhal-Bourget; de nationalisme simple chez Barrés, de nationalisme intégral chez Maurras; d'immoralisme chez Gide et de style à tous les rayons? Il arrive souvent qu'un jeune homme de lettres n'accepte rien tout fait de l'extérieur. Ses maîtres préférés font sourdre en lui des eaux cachées. Nous ne recevons rien que déjà nous ne possédions. Notre œuvre, c'est nous-mêmes et nous ne sommes pas nés des livres, mais de nos pères en qui nous vivions avant notre venue ici-bas; et depuis nous dépendons de ce monde infini d'images, de sensations, de sentiments, de croyances, où, à peine nés, nous avons baigné. Les pins géants d'un parc que je connais, les charmilles, devant la terrasse d'un autre jardin, m'ont mieux instruit que les livres dont je m'enchantais à leur ombre (dont je m'enchantais vient de Barrés).
Et qui dira, dans une formation même littéraire, la part des amitiés et des amours? Les maîtres de beaucoup, ce furent leurs maîtresses.

2° Il est inutile, monsieur, que vous vous inquiétiez de l'avenir des “genres traditionnels” au siècle de Marcel Proust, de Paul Valéry et de tous ceux que vous interrogeâtes.

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