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La Volupté de l'honneur, trois actes de Luigi Pirandello — Antigone de Sophocle, adaptation libre de Jean Cocteau, au théâtre Montmartre (l'Atelier) — Michel Auclair, pièce en trois actes de M. Charles Vildrac, au Vieux-Colombier —Paul et Virginie, pièce en quatre actes de MM. Lucien Népoty et Guiraud, au théâtre Sarah-Bernhardt

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Il est temps que le public apprenne à connaître l'Atelier, de Charles Dullin. Il n'est rien de si accessible que les stations Anvers, Pigalle, Abbesses, —et rien de si accueillant que la provinciale place Dancourt où le charmant et discret théâtre Montmartre est fort à souhait pour abriter l'effort de cette jeune troupe. Après l'Avare de Molière, le Divorce de Regnard, l'Occasion de Mérimée, Moriana et Galvan d'Alexandre Arnoux, l'Hôtellerie de Francisco de Castro, Chantage de Max Jacob, Visites de condoléances, la Vie est un songe de Calderon, Carmosine de Musset, voici la Volupté de l'honneur de ce fameux Pirandello dont il faut bien espérer que ce n'est pas la meilleure pièce. Mais la légère désillusion qu'elle nous a donnée n'enlève rien au mérite de Charles Dullin et de sa compagnie qui auront, les premiers en France, joué une comédie du célèbre Italien.

La Volupté de l'honneur remet en honneur, sous un déguisement moderne et avec plus de subtilité, le déclassé héroïque et le marquis infâme chers à nos pères. Une jeune fille du meilleur monde ayant commis une faute et le marquis, son complice, ne pouvant l'épouser, un déclassé, Angelo Baldovino, accepte de lui donner son nom et de considérer comme son fils l'enfant qui va naître. Mais, jouant la comédie de l'honneur, il prend son rôle au sérieux. Ce rôle d'honnête homme lui devient une seconde nature au point que le marquis, pour se débarrasser de lui, l'ayant induit à voler trois cent mille francs, Baldovino voudrait que ce fût le marquis et non lui qui les volât; et il goûterait alors, à son degré le plus haut, la volupté de l'honneur, en s'accusant à la place du coupable... M. Charles Dullin est un acteur si intelligent qu'il arrive à animer cet étrange maniaque. Il étouffe les grondements de la bête féroce que Baldovino a été sans doute quelquefois, et exprime à merveille la conquête d'un imaginatif par le rôle qu'il lui a plu d'assumer et qui peut-être le rend à sa vraie nature. Sensible à tant de grandeur d'âme, la jeune femme quittera son amant pour suivre son mari: ainsi la situation habituelle est-elle renversée. Il est possible que M. Luigi Pirandello ait des idées de derrière la tête et veuille que nous haïssions les conventions du monde, la vertu officielle; il nous rend aimable ce chevalier d'industrie qui renonce à l'industrie: et il ne reste plus que le chevalier...

Le "métier" du dramaturge italien nous a paru, en quelques endroits, assez sommaire. Mais c'est sans doute un esprit délié, insinuant, dangereux — et nous sommes curieux de ses autres ouvrages.

J'ai beaucoup aimé la mise en scène que Jean Cocteau a inventée pour Antigone. Il s'agit bien ici d'invention, en effet, et qui d'abord nous dérange dans nos habitudes. Nous n'avions pu encore atteindre au théâtre un chef d'œuvre grec qu'à travers l'absurdité du décor et de la figuration. Cocteau a su dégager du drame la ligne toute pure, la courbe essentielle. N'aurait-il pu contracter moins un texte où tout est précieux? Et si nous ne pouvons qu'applaudir à la suppression des choristes, un acteur n'en eût-il aussi bien pu tenir lieu que ce portevoix derrière des masques accrochés par Picasso —devanture de coiffeur, la veille du mardi gras? Mais, ces réserves faites, nous n'eussions jamais imaginé une Antigone plus émouvante que Mlle Génica Atanasiou quand, sur un fond gros bleu comme le ciel d'Attique et comme les bariolages du Parthénon, elle fait glisser son immobile figure de plâtre, évoquant le masque de l'acteur grec et satisfaisant une certaine conception plastique et sculpturale, inséparable pour nous de l'"antique". Grâce à Cocteau, le drame de Sophocle, exhumé de tout ce dont au cours des âges on l'avait recouvert, apparaît dans sa jeunesse et dans sa pureté originelle. La fraternelle Antigone, en dépit de la tremblante Ismène, brave les ordres de Créon et rend au corps de Polynice les honneurs funèbres et va, gémissante, à la mort, et rien ne s'interpose plus entre nous et la simple beauté des phrases qu'à quinze ans nous étions si contents de trouver traduites dans notre dictionnaire: "Vous avez choisi de vivre, et moi de mourir...", "Soleil, soleil du jour...", "Ô tombeau, ô lit nuptial..." Étonnant Cocteau! D'où cette idée de s'intéresser à Sophocle? Il se tue au service de la musique; il fait tenir dans un petit livre, Vocabulaires, les plus divertissants et les plus savants arrangements d'images, et d'Apollinaire à Ronsard va dansant sur son rythme propre; il invente, avec Secret professionnel, une critique de poète où toute image ouvre une vue souvent profonde; entre temps il lance le seul bar de Paris où l'on s'amuse et où la plupart des figures ne soient pas des mufles; ses dessins, s'il avait voulu, lui assuraient la succession de Sem... Et un roman, dit-on, va paraître… même d'un peu loin, c'est une satisfaction de songer qu'on fera route avec ce jeune homme trop riche...

Cette réflexion n'est pas de moi, mais de Michel Auclair, dont M. Charles Vildrac nous a dépeint en trois actes la belle âme. C'est une pièce probe, noble, émouvante souvent, et, quoique chargée d'aussi peu de matière qu'il se peut, jamais languissante. Michel Auclair va apprendre à Paris son métier de libraire et laisse en province une fiancée que séduit un adjudant bellâtre. Au retour, Michel trouve sa bien-aimée enchaînée à cet imbécile incapable de devenir officier et qui joue aux courses son argent et celui des autres. Michel prête l'argent nécessaire, console la jeune femme, relève l'adjudant, tourne comme un bon gros terre-neuve autour du couple en péril et le sauve. M. Charles Vildrac, comme M. Jules Romain, comme Georges Duhamel, sait que nous ne sommes pas seuls. Ils ont gardé du christianisme la foi en une vie commune des âmes. Et c'est cette communion des vivants (dont ils ne savent pas qu'elle s'étend aussi aux morts) qui enrichit l'anecdote un peu ténue de Michel Auclair. L'interprétation est bonne (nous sommes au Vieux-Colombier!) Mais il faut surtout féliciter M. Savry qui est un adjudant terriblement "nature".

MM. Lucien Nepoty et Guiraud ont eu bien tort de porter à la scène Paul et Virginie. Il n'y reste rien de cette poésie de cocotiers, de bons nègres et de pamplemousses que Francis Jammes adore:

C'est aujourd'hui la fête de Virginie...
Tu étais nue sous ta robe de mousseline.
Tu mangeais de gros fruits au goût de Mozambique
Et la mer salée couvrait les crabes creux et gris.

Ta chair était pareille à celle des cocos.
Les marchands te portaient des pagnes couleur d'air
Et des mouchoirs de tête à carreaux jaune clair.
Labourdonnais signait des papiers d'amiraux.

Tu es morte et tu vis, ô ma petite amie,
Amie de Bernardin, ce vieux sculpteur de cannes,
Et tu mourus en robe blanche, une médaille
A ton cou pur, dans la Passe de l'agonie.

MM. Nepoty et Guiraud ont rivalisé de zèle pour épurer de toute cette poésie le roman de Bernardin; et il n'en reste rien que l'accablante niaiserie des tirades et des larmoiements sur l'égalité entre les hommes, leur bonté originelle, les crimes de la société. Mlle de France est une bien jolie Virginie; M. Puylagarde, un Paul fort monté en graine.

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