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Mademoiselle mon fils, pièce en trois actes de M. Fonson, à la Potinière - Six personnages en quête d'un auteur, pièce en trois actes de M. Luigi Pirandello, à la Comédie des Champs-Élysées - Le Professeur Klenova, pièce en trois actes de Mme Karen Bramson, à l'Odéon - Les Pieds d'argile, pièce en trois actes de M. Marcel Berger, au théâtre du Gymnase

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Mademoiselle mon fils a obligé plusieurs éminents critiques de se voiler la face. Pourtant, s'il est vrai que le sujet en est aussi graveleux que ce que l'on a coutume de donner dans ces petits théâtres (bien mal appelés de “digestion”, car ils la troublent), il est en revanche plus traditionnel. Si j'avais le loisir de chercher dans Plaute, sans doute, en trouverais-je l'équivalent et, en tout cas, Shakespeare adorait les déguisements, les confusions périlleuses: ses princesses errantes doivent prendre souvent l'aspect de jeunes garçons. Mais justement M. Fonson ne possède à aucun degré cette grâce légère d'Ariel qui danse sur les abîmes; et sans elle, comment traiter avec assez de délicatesse ce sujet que je ne puis qu'indiquer: un bourgeois n'héritera des quinze millions de son oncle que s'il a un fils. Sa femme accouche d'une fille qui incontinent sera camouflée en garçon. Mais il y a là un vieux notaire ami du défunt et qui est lui-même père d'un garçon, —un vrai celui-là. Les enfants grandissent ensemble: impossible d'en raconter plus long. La critique a beau ressembler à cette vieille dame de la cour du régent qui ne savait plus rougir, il y a de certains sujets où elle feint de n'entendre pas raillerie. Notez que le toujours traditionnel M. Fonson ne fait ici que reprendre le mythe éternel de Daphnis et Chloé, l'éveil de l'amour dans de jeunes cœurs ignorants. Mais cet auteur, qui n'est pas Shakespeare, n'est pas non plus Longus, ni Paul-Louis Courier: on le lui a bien fait voir, on le lui a fait trop voir, car il a tout de même plus de talent que la plupart de ses confrères. Il joue lui-même sa pièce avec bien de la bonhomie. M. Puylagarde rajeunit tous les ans.

Le néant de notre théâtre nous obligera chaque année à chercher de nouveaux auteurs en lointain pays. M. Luigi Pirandello est la plus belle conquête que nous ayons faite cette saison. Et d'abord il a cela d'adorable de n'être pas du Nord, mais Italien et même, si je ne me trompe, Sicilien: le succès ne sort donc pas de la famille latine. La Volupté de l'honneur nous avait à la fois intéressé et déçu. Sa nouvelle pièce, Six personnages en quête d'un auteur, excellemment traduite par M. Benjamin Crémieux, témoigne d'un talent si neuf qu'il n'est pas de théâtre, à notre connaissance, dans aucune littérature et à aucune époque, à quoi on puisse rattacher cette étrange fantaisie idéologique. D'abord elle nous déconcerte, puis nous amuse et nous retient, et enfin —c'est le miracle— s'élève jusqu'au plus haut pathétique.
Sur le plateau, des acteurs se préparent sans entrain à répéter; et voici qu'un ascenseur descend, chargé d'une troupe sombre: un homme lunaire, une jeune fille, une femme en deuil, un adolescent, des enfants. Est-ce sur une indication de Pirandello que Pitoeff a imaginé l'arrivée en ascenseur de ces personnages, héros à peine nés, qu'un auteur laissa en panne et qui exigent leur incarnation? La réussite en tout cas est complète et, pendant deux actes, nous voyons ces êtres en quête d'un auteur, en quête de corps pour vivre leur drame; ils sont vivants, certes plus vivants que les vivants, procédant de l'éternité comme Don Quichotte... Mais alors que ceux qu'un romancier enfante n'ont besoin de personne pour vivre, que de déformations au contraire, que de mutilations les acteurs, les metteurs en scène imposent aux héros des dramaturges! Il faut entendre le rire désolé de Mme Ludmilla Pitoeff devant la sotte actrice qui prétend l'incarner; il faut voir l'acteur bouffi et buté faussant, détruisant le personnage réel dont il tient le rôle. Si le théâtre n'est pas, comme certains le prétendent, un art inférieur, il est trop vrai que l'artiste y est soumis à ce qui ne dépend pas de lui-même; le créateur n'y est pas le maître absolu de sa création: rien ne détourne mieux de faire du théâtre que d'aller beaucoup au théâtre. Les héros de Pirandello souffrent aussi de la facticité du jardin; de ce que le divan de la maison louche où va la jeune fille ne ressemble pas à celui que fournit le magasin des accessoires; de ce que le ciel enfin n'est qu'un morceau de toile; ici nous comprenons moins: une transposition du réel ne devrait point déplaire à des êtres non pas irréels, mais “surréels”. Enfin, grâce au directeur de théâtre (M. Marcel Simon est parfait dans ce rôle) devenu auteur, le drame tant bien que mal s'incarne, se déroule brutalement; lès acteurs d'abord sceptiques sont pris à leur tour; et lorsqu'au dénouement un coup de revolver éclate et qu'un enfant se tue, ils se penchent à l'endroit où le petit corps est tombé et s'interrogent les uns les autres: “Fiction? réalité? —Mais c'est vrai, il est réellement mort! —Mais non, il fait semblant...” Cependant l'ascenseur a enlevé vers les frises le groupe sombre des personnages. Le miracle est, sur ce thème idéologique, d'avoir construit une pièce dont l'intérêt va croissant et dont le dernier acte atteint le pathétique. Il faut remercier le traducteur, M. Benjamin Crémieux, répéter que Mme Ludmila Pitoeff n'a point son égale à Paris, et enfin que Pitoeff possède la qualité essentielle du metteur en scène: c'est un poète.

Après l'Italie, le Danemark. Mme Bramson a écrit le drame de la laideur. Un savant célèbre, mais affreux, boiteux, à demi aveugle, Klenow, ramasse dans la rue une pauvre jeune fille, Élise, la délivre d'un père infâme. Pour qu'elle consente à devenir son épouse, il lui fait croire qu'elle n'a aucun autre moyen d'échapper à ce père; et surtout il lui cache qu'un jeune homme qu'elle aime voudrait l'épouser. Pendant le lugubre voyage de noces, le jeune amoureux rejoint Élise, lui dévoile la trahison de Klenow. Elle se prépare à fuir son mari, mais le misérable menace de se suicider et, par ce chantage, enchaîne à lui sa victime: c'est elle au dernier acte qui se tuera.
Ceux qui l'ont vu n'oublieront pas l'hallucinant personnage qu'a su créer M. Reumer, sociétaire du Théâtre Royal de Copenhague, qui est d'abord venu faire sur la scène une déclaration d'amour à la France. M. Firmin Gémier, dans le rôle du père infâme, charge comme il sait faire, détache son rôle de l'ensemble où il découpe un intermède comique, enfin se fait un petit succès pour lui tout seul. Mlle Madeleine Clervanne, jolie et touchante, zézaye avec grâce. On conçoit mal qu'élevée par un tel père dans un mauvais lieu, elle montre tant de délicatesse et de si parfaites manières. La pièce, qui a des endroits excellents, pèche ici par la base. Il faudrait aussi que l'amoureux existât un peu plus: le professeur Klenow et la déplorable Élise accaparent toute la vie dont disposait pour ses personnages Mme Karen Bramson. Mais nous nous sommes trop accoutumés à des pièces où personne ne vit, pour faire les difficiles. Il faut louer le raffinement du metteur en scène de l'Odéon qui, pour que nous sachions tout de suite dans quelle ville nous sommes, a disposé sur les étagères des porcelaines de Copenhague.

Le Canari sauvage a donné au Gymnase une fort intéressante pièce de M. Marcel Berger et qui mériterait qu'un théâtre régulier la reprît: le Talon d'Achille. C'est l'histoire d'un grand littérateur impeccable que la politique séduit et que la C. G. T. embrigade. Mais une coquette petite mineure (la toujours mutine Mlle Bovy) et de méchantes personnes pieuses l'entraînent à sa perte. Il est trop vrai que les femmes jouent souvent de mauvais tours aux politiciens, mais il n'y a pas que les femmes et leur talon d'Achille est souvent un talon de chèque.

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