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Les Dieux ont soif, pièce tirée du roman d'Anatole France, par M. P. Chaîne, au théâtre de l'Odéon - Le Spectacle de la Petite Scène - Bastos le Hardi, comédie en 4 actes de MM. Léon Régis et de Veynes, au Vieux-Colombier - Le Spectacle de l'Atelier

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Le grand mérite du drame que M. Pierre Chaîne a tiré du roman d'Anatole France, les Dieux ont soif, est de nous inciter à relire ce beau livre, —le mieux fait pour nous inspirer des réflexions infinies touchant le vieux maître. On se souvient qu'il y fait une peinture exacte et terrible du jacobin: terrible parce qu'elle est exacte. Son Évariste Gamelin, juré au tribunal révolutionnaire, est dévoré de zèle pour la patrie; il est bon et vertueux jusqu'à vouloir immoler tous les méchants et tous les corrompus. C'est un homme nourri des grands exemples d'Athènes et de Rome. Car nous combattons pour le grec et pour le latin contre la Barbarie, sans songer que les maîtres inhumains de la France sous la Terreur avaient fait d'excellentes humanités. L'école de Brutus n'est pas une école de douceur, et le bonhomme Plutarque fournit autant d'exemples qu'en exige pour sa justification le bonhomme Robespierre. Le mépris de la vie humaine, remarquable chez les bourreaux de la Terreur, plus remarquable encore chez leurs victimes qui mouraient sans un cri, cela s'apprend à l'école des stoïques; et il n'y eut que la pauvre du Barry, qui ne connaissait pas Epictète, ni Marc-Aurèle, ni Sénèque, pour hurler sans vergogne devant la mort. Dès 1789, Camille Desmoulins déclare qu'il veut être l'écho d'Homère, de Cicéron et de Plutarque. Girondins et Jacobins se réconcilient dans le culte des grands Anciens et des grandes phrases: ils tuent et meurent, la bouche pleine de leurs sentences.
M. Anatole France nous montre par le portrait d'Évariste qu'il juge les Jacobins naïfs, horribles et ridicules. Il les raille comme il raille tous les hommes qui ont une foi. Il renverse tous les autels et ceux mêmes de la déesse Raison. Entre toutes les causes de son évolution vers les partis extrêmes, il faut d'abord nommer la volupté de détruire. Il est peu probable que le vieux maître croie aux bienfaits du marxisme; mais il est certain qu'il trouve agréable de songer que le monde brûlera et avec lui tous les rois, tous les curés, tous les académiciens, tous les journalistes, tous les militaires, tous les prolétaires. C'est pourquoi il est l'ami de ceux qui préparent les torches. Même dans le temps de sa bénignité, lorsqu'il écrivait le Jardin d'Épicure, déjà il se délectait à anéantir en esprit la race des hommes: “...Un jour, le dernier d'entre eux exhalera sans haine et sans amour dans le ciel ennemi le dernier souffle humain. Et la terre continuera de rouler, emportant à travers les espaces silencieux les cendres de l'humanité, les poèmes d'Homère et les augustes débris des marbres grecs, attachés à ses flancs glacés. Et aucune pensée ne s'élancera plus vers l'infini, du sein de ce globe où l'âme a tant osé...” Pourquoi s'épuiser à conserver ce qui fatalement sera détruit? Notre goût de destruction est en harmonie avec la destinée du monde. Et le vieux maître, héritier des anciens, nourri de leur sagesse, —lui dont on a pu écrire qu'il était l'extrême fleur du génie latin, appelle de ses vœux les juifs de Moscou et leur garde tartare.

La compagnie de la Petite Scène réunit, sous les auspices de la Revue critique, des gens du monde qui ont le goût de jouer la comédie et de redonner du lustre à des œuvres oubliées et inconnues. Le Devin de village de Jean-Jacques Rousseau est d'une telle pauvreté que le succès qu'il obtint en 1753 nous demeure un mystère. Ce Rousseau que Barrés appelle un extravagant musicien n'offre, certes, rien d'extravagant lorsqu'il écrit de la musique: elle est d'une platitude qui égale celle du texte. Mais toutes ces bergeries et pastorales du vieux monde finissant détiennent au moins ce pathétique d'annoncer les “cavernes de mort” et la “sombre boucherie” qui attendent ces troupeaux bêlants. Après le Devin de village, nous eûmes la parodie de Mme Favart, les Amours de Bastien et de Bastienne. Mmes Jean Rivain et de Berly, le comte de Charleval, jouèrent à merveille un acte charmant d'Hoffmann (1803), le Roman d'une heure. Sainte-Beuve cite avec admiration du même auteur les Rendez-vous bourgeois: la Petite Scène pourra en tâter l'an prochain.

Le sujet de Bastos le Hardi est une excellente invention dont les auteurs n'ont peut-être pas tiré tout le comique possible: il s'agit d'un paisible petit bourgeois à qui une constitution fantaisiste impose la couronne royale. Rêverie qui nous est à tous familière: parmi ce que Freud appelle les rêves éveillés auxquels nous nous complaisons, le plus fréquent est le “si j'étais roi...” M. Romain Bouquet a trouvé dans Bastos une de ses meilleures créations: d'abord apeuré, accablé par le poids de la couronne, devenant odieux au peuple, —puis amoureux et trouvant dans son amour la force de chasser les ministres, ce qui le rend de nouveau populaire. Tout cela est plaisant, un peu monotone parce que les auteurs manquent encore de métier. Quand on voit tant de vieux routiers du boulevard fabriquer trois actes autour de rien, on imagine ce qu'ils eussent inventé sur un thème si riche. Les auteurs de Bastos s'interdisent même les allusions politiques qui s'imposaient. Cette discrétion a bien aussi son charme.

À l'Atelier, deux petites pièces qui ne sont pas sans mérite: la Promenade du prisonnier relève de l'esthétique de la Souriante Madame Beudet. Un mari, parce qu'il est trompé, est l'esclave de sa femme, de la bonne et de sa concierge. Devenu amoureux d'une jeune provinciale, et au moment de la séduire, il se croit délivré, mais ayant découvert qu'il est un mari trompé, elle le chasse et le prisonnier misérable rentre dans sa prison. Quelques scènes de vaudeville égayent, mais en l'alourdissant, cette petite comédie.
L'auteur de Celui qui vivait sa mort, M. Marcel Achard, est disciple de Shakespeare. Son Charles VI, roi fol, a sans doute lu Hamlet et se conforme aux lois du genre. Un certain Jacquemin essaie de guérir le roi de sa folie, qui est la peur de la mort; mais il aime la reine Isabeau, qui gagne contre lui une partie de cartes et l'oblige à boire du poison. M. Charles Dullin joue le fou avec un plaisir évident et avec un art admirable.

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