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Conférence Saint-Paul – L'idée de patrie

BnF_Revue Montalembert_1908_03_25.pdf

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Mercredi 12 février.

L'idée de Patrie, par M. Fr. MAURIAC, licencié es-lettres.

L'auteur n'a pas entrepris de défendre l'idée de patrie contre les théories individualistes ou internationalistes. Il n'y a pas d'hervéistes à la Réunion mais il y a des patriotes. N'y a-t-il pas patriote et patriote?
“Quelqu'un me disait un jour sévèrement: Je ne vois pas deux manières d'aimer la France, Monsieur! –Cet homme avait raison car il en aurait pu voir cinq ou six. Pourtant en généralisant un peu et en donnant aux mots leur sens le plus large on peut distinguer, je crois la conception individualiste et la conception démocratique de l'idée de patrie. Mais ensuite j'essayerai de vous montrer qu'il existe un certain patriotisme traditionnel. Celui-là est commun à tous les bons français quelles que soient leurs divergences politiques ou sociales et c'est peut-être en ce sens qu'on peut dire en effet: il n'y a qu'une façon d'aimer la France!”
I. Certains théoriciens nationalistes font de l'idée de patrie un absolu qu'ils placent au dessus de l'idée de Dieu, au-dessus de l'idée de justice. La raison d'Etat devient la règle suprême de la morale et contre eux demeurera cette parole du P. Lacordaire: “Celui qui emploie des moyens misérables, même pour sauver son pays, celui-là demeure toujours un misérable.” Ces moyens ne sont pas plus légitimes contre les peuples que contre les individus.
Beaucoup des représentants de cette théorie croient également être les seuls à aimer la France.

Nul n'aimera la France hors nous et nos amis.

Mais leur amour du pays souvent se double de la haine du gouvernement et, à cela, il y a sans doute bien des raisons légitimes. Mais, en cela, leur patriotisme manque peut-être de clairvoyance.
II. Il est des hommes qui aiment la France mais d'une autre manière. La patrie n'est pas pour eux une “fin en soi” parce que malgré tout il y a quelque chose qui la domine; au-dessus de la patrie, il y a Dieu et la justice: “Nous aimons la France disent-ils parce que nous entendons nous servir de la France pour travailler à faire régner dans le monde plus de justice et plus d'amour”.
Mais pour remplir son rôle d'éducatrice, la France doit être forte pour être à l'abri de toute agression étrangère. Eux aussi veulent donc une armée forte et disciplinée –et ils voudraient que cette armée elle-même soit non pas un mal nécessaire mais un instrument d'éducation populaire. La caserne sera une école où la jeunesse française recevra une formation morale et une formation sociale.
Ils veulent rendre la France de plus en plus consciente, libre et forte afin qu'elle soit digne de guider les autres peuples et afin que se réalise la grande parole d'espoir de Michelet que le peintre Carrière a mis comme devise au bas d'un de ses tableaux: “au xxe siècle la France déclarera la paix au monde.”
III. Mais un Français ne doit-il aimer la France qu'en raison de sa mission démocratique dans le monde? Le jour où l'Allemagne apparaîtrait mieux armée devrait-il se faire naturaliser Allemand? Quel Français oserait le soutenir! C'est que l'amour de la patrie est plus profond et on le sent frémir au fond des cœurs à ces jours où tous oublient leurs querelles pour communier dans un même amour patriotique.
Voici la fin de cette intéressante conférence:
“Je vais, Messieurs, en terminant essayer d'analyser cet amour grâce auquel nous avons –en dépit de nos opinions divergentes– une âme commune... Mais je ne serai ici que l'écho [affaibli] de Brunetière, de Faguet, de Barrès de tous ceux qui depuis quelques années travaillent à réveiller dans la jeunesse française l'amour des traditions nationales.
Il est un homme qui dans une seule phrase, mais splendide, a fait tenir l'essence même de l'idée de patrie et, –quelle ironie, –cet homme s’appelle Jean Jaurès. Ecoutez ce qu'un jour il disait aux ouvriers: “Vous êtes attachés à ce sol par vos souvenirs et par vos espérances, par vos morts et par vos enfants, par l'immobilité des tombes et par le tremblement des berceaux...”
Ce peuple, en effet, est d'abord attaché au sol par ses souvenirs. L'histoire de France où il a appris à lire, lui a appris aussi qu'il ne date pas d'hier, qu'il n'est pas isolé mais ressemble au chaînon d'une immense chaîne s'étendant très loin devant lui et qui s'étendra encore très loin après lui... Le sens profond lui apparaît de cette grande parole: “l'humanité se compose de plus de morts que de vivants”, et, c'est bien la leçon de “nos seigneurs les morts” comme dit Barrès, que par la voix de l'histoire il reçoit avec amour. “Il se reconnaît dans le passé, il s'aime profondément dans le passé.” Ceux, dont sont issus son âme et sa chair, ont peiné dans la vieille France, à l'ombre de la crosse ou du château-fort. Ils ont été les héros légendaires des chansons de geste; ils ont formé les grandes foules illuminées qui derrière la bure de Pierre l'Ermite roulaient vers Jérusalem et c'est encore leur âme mystique et fervente, éclairée par François d'Assise, amoureux de la dame Pauvreté que nous sentons prier dans le silence de nos cathédrales... Au temps où les Anglais dévastaient les campagnes de France ils ont comme le grand Ferré défendu jusqu'à la mort le sol natal envahi, l'oriflamme de Jeanne d'Arc a claqué dans le vent au-dessus de leurs espoirs... Puis, l'Anglais une fois bouté hors de France, ils ont pendant des siècles collaboré fidèlement à l'œuvre de la Royauté capétienne –défendant, contre le protestantisme l'unité religieuse du pays, et contre la noblesse, son unité territoriale.
Mais où le peuple du xxe siècle se retrouve encore bien plus que dans “l'histoire – bataille” comme disait Duruy, c'est dans l'histoire même de notre liberté, dans cette lente ascension de l'esclave vers le servage, du serf vers l'affranchissement des communes d'abord et l'affranchissement définitif que lui donna Louis XVI et c'est dans les foules enthousiastes de 1789 saluant l'aube des temps nouveaux, dans celles de Bretagne et de Vendée, de Lyon et de Toulon défendant âprement cette liberté contre la férocité jacobine.
Mais pour nous rattacher à la patrie, les morts ne nous ont pas seulement laissé des souvenirs glorieux et le devoir de les perpétuer, ni un territoire à défendre contre l'étranger. Ils nous ont aussi laissé une langue admirable dans laquelle ils ont immortalisé leur pensée, une certaine façon d'exprimer la beauté dans une tragédie, dans un palais, dans un jardin dessiné, voire même dans une assiette peinte comme dit je ne sais plus quel personnage d'une comédie de Maurice Donnay. Nous sommes en un mot les dépositaires du génie latin et un impérieux devoir s'impose à nous de le sauvegarder. Brunetière a fait sous ce titre, “le génie latin”, une magistrale conférence à laquelle je vous renvoie n'ayant pas le temps de la résumer ici... mais vous comprenez bien quand vous lisez Rabelais, Lafontaine, Molière et Voltaire qu'il existe un certain esprit qui nous est particulier au point qu'on l'appelle l'esprit gaulois.
Quand un jour, qui n'est pas un dimanche, vous errez au crépuscule sur les terrasses de Versailles, vous sentez une émotion qui monte en vous et qui vient de loin et que ne peut pas éprouver cet Anglais occupé à vérifier si les objets que cite Bedecker sont bien à la place indiquée. Nous sommes les héritiers d'une certaine forme de beauté. Elle est le dépot sacré qui s'est transmis fidèlement jusqu'à nous de générations en générations. Nous avons le devoir de le transmettre à notre tour aux enfants qui nous succèdent et pour cela nous devons le défendre et même, s'il le faut, à coup de canon. Car, il est bien certain qu'une race vaincue et dominée matériellement voit, par le fait même, s'altérer son génie. Ceux qui ont aimé l'Allemagne de Goethe et de Schiller, l'Allemagne de Wagner savent bien que la victoire de la Prusse a été la suprême défaite de l'Allemagne. Donc, Messieurs, le patriotisme résume notre devoir social tout entier: envers les générations disparues comme je viens de vous le marquer; envers les hommes d'aujourd'hui puisqu'en éclairant de plus en plus le peuple de France nous éclairons par· le fait même toute l'humanité; envers nos enfants à qui nous devons rendre intact le génie de la race et son héritage de gloire et pour qui nous devons préparer une France plus chrétienne et plus fraternelle. Aujourd'hui le patriotisme est attaqué, comme le sont tous les sentiments désintéressés. Mais je le crois indéracinable comme tous les sentiments qui sont en nous en quelque sorte malgré nous. Car il y a en nous infiniment plus que nous-même et les théoriciens qui prêchent la haine de la patrie trouvent au fond de nos âmes des milliers de contradicteurs: c'est la foule immense des morts qu'ils ne convaincront jamais!”

Ouvrages à consulter :
Ferdinand BRUNETIÈRE: Discours de combats; l’idée de Patrie; la nation et l’armée. –Emile FAGUET: Le Pacifisme. –Maurice BARRÈS: Toute l’œuvre et particulièrement: le jardin de Bérénice, les amitiés françaises; Au service de l’Allemagne. –Frédéric NIETZSCHE: Par delà le bien et le mal. –Le Sillon, numéro du 25 mars 1905: Une idole, par Marc SANGNIER.

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