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Le Miracle de la J.O.C. (2)

MICMAU_Temps présent_1938_02_04.pdf

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Paroles prononcées avant la conférence de Paul Hibout aux Ambassadeurs:

Je remercie les organisateurs des conférences de Chrétienté du grand honneur qu’elles font aujourd’hui. Oui, c’est bien à moi de dire merci. Car la J.O.C. n’avait aucunement besoin de voir s’étendre sur sa jeunesse l’ombre de mon bicorne d’académicien. Elle n’avait surtout pas besoin de ma voix misérable.
En souhaitant ma présence ce soir, je suppose que la J.O.C. a voulu me remercier de l’affection que je lui porte. Cette affection date, je puis le dire, du jour où je l’ai connue. Mais comment ne l’aimerions-nous pas, nous, dont la génération en dépit des nobles efforts d’un Albert de Mun, d’un Marc Sangnier, vit, ou plutôt crut voir, s’accomplir le plus grand malheur qui ait frappé l’Église depuis la réforme de Luther: le divorce entre la religion et la classe ouvrière.
Nous pûmes croire, à certaines heures, que ce malheur était irrémédiable et que désormais les gens de chez nous vivraient dans l’Église ou hors de l’Église, selon qu’ils seraient nés bourgeois ou ouvriers. Il y avait là un état de fait constaté et commenté par les docteurs marxistes. Les Encycliques pontificales semblaient retentir vainement sur une société à jamais divisée en deux classes ennemies.
Nous savons aujourd’hui, nous l’avons vu de nos yeux au Parc des Princes, en juillet dernier, que cette défaite apparente préparait une grande victoire. J’ai parlé un jour du miracle de la J.O.C. et c’est bien d’un miracle, en effet, qu’il s’agit: non pas seulement d’un redressement, mais d’une renaissance, d’une résurrection.
Cette résurrection est le fruit de la sainteté des jeunes prêtres et des jeunes religieux qui, ayant voué leur sacerdoce à la jeunesse ouvrière, surent découvrir l’amour qui, dans cette jeunesse, continuait de couver au fond de quelques cœurs fidèles. Bien souvent, dans les Landes, nous croyons le feu éteint, mais sous la terre les racines des bruyères continuent de brûler et tout à coup une flamme jaillit et illumine les ténèbres.
Ce qu’est la J.O.C., Paul Hibout saura le dire, avec toute la force de son amour, à ceux d’entre vous qui ne la connaissent pas encore. Car il faut l’aimer sans doute, mais il faut l’aimer pour ce qu’elle est et non pour ce que nous voudrions qu’elle fût. Je me souviens de cette réflexion d’un journaliste à la sortie du Parc des Princes, lors de l’admirable congrès de juillet dernier: “Enfin, soupirait-il, d’un air résigné, il vaut tout de même mieux ça que s’ils étaient communistes!”
Ce n’est pas ainsi que la J.O.C. veut être aimée. Elle se recrute parmi une classe qui, en dépit des avantages récents dont elle bénéficie, demeure une classe souffrante et où sévit un dur chômage. Le jeune ouvrier chrétien connaît les mêmes besoins, souffre des mêmes maux que ses camarades socialistes ou communistes. Il s’associe donc à toutes leurs aspirations légitimes. Je dirai plus: son ambition dépasse infiniment la leur. Car c’est justement parce qu’il aspire, lui, à une vie sanctifiée, divinisée, qu’il exige aussi des conditions d’existence qui sauvegardent sa liberté, sa dignité de frère du Christ.
La religion opium du peuple? La J.O.C. est une réponse vivante à cette calomnie. Par le seul fait que les jeunes ouvriers chrétiens existent, qu’ils luttent et souffrent au premier rang de l’Église militante et du peuple militant, par le seul fait de leur jeunesse magnifiquement éveillée, ils réduisent à néant cette accusation d’engourdissement et de sommeil.
Il se trouve dans notre France de 1938, si impitoyablement critiquée, si durement jugée non seulement par ses adversaires du dehors, mais aussi par ses propres enfants, il se trouve donc un peuple fidèle, une classe ouvrière fidèle. Une minorité, sans doute …, mais le nombre n’est pas tout, et il arrive qu’un seul jeune ouvrier chrétien, dans un atelier, représente une force infiniment supérieure à celle de tous ses camarades réunis. D’ailleurs, cette main tendue, dont on a tant parlé, prouve du moins que nos adversaires ne sous-estiment pas la profonde réserve de force neuve que la J.O.C. accumule au cœur même de la classe ouvrière française.
Alors, me tournant vers les catholiques de la bourgeoisie qui m’écoutent, je leur dis: “Il existe des ouvriers et des employés catholiques ; il existe aussi des instituteurs de l’État et des institutrices catholiques. Il y a là une élite nombreuse qui, dans un milieu hostile, a su maintenir ou reconquérir sa foi contre vents et marées. N’admettrez-vous pas que ces chrétiens, devant lesquels nous nous sentons si misérables, aient droit à une presse, à des journaux selon leur cœur ? Même si ces journaux, et je pense ici, plus particulièrement, à Temps Présent, ne vous satisfont pas toujours, s’ils heurtent quelquefois vos opinions personnelles, vous pouvez, vous devez admettre que leur existence est nécessaire et qu’il faut les soutenir comme les membres les plus éminents de l’Épiscopat français vous en ont donné le généreux exemple.”
Car nous pouvons différer d’opinion sur des points particuliers. Mais permettez-moi de vous rappeler une vérité sur laquelle nous nous accordons tous: c’est que les intérêts de la religion ne se confondent pas avec ceux d’une idéologie, ni avec ceux d’une classe et qu’il n’est rien que nous devions redouter davantage que d’avoir l’air d’utiliser la puissance spirituelle de l’Eglise pour le maintien de nos intérêts même les plus légitimes. Nous croyons tous que sur ce point nous devons exagérer la prudence, si c’est possible, et aller jusqu’au scrupule. Telle est la résolution que les catholiques de la bourgeoisie doivent emporter de leur première rencontre avec la J.O.C. Beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, ont des raisons personnelles de compatir à la dure vie des jeunes ouvriers. C’est justement parce que nous vivons à une époque cruelle à tous, où la gêne, le chômage et ce mal qui est le pire de tous: l’inquiétude pour le lendemain, l’insécurité, ne sont plus le triste privilège d’une classe, où nous savons que les étudiants, eux aussi, luttent contre les pires difficultés et qu’il existe au fond d’appartements bourgeois des hommes et des femmes qui souffrent du froid et qui ne mangent pas à leur faim, c’est pour cela qu’il est peut-être plus facile qu’à aucune autre époque de travailler d’un même cœur, afin que la Croix étende ses bras au-dessus de toutes les classes, de toutes les jeunesses étudiantes, ouvrières, paysannes, qu’elle les rapproche, qu’elle les unisse et les confonde dans la même espérance, dans le même amour.

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