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Lettre de M. Mauriac

GALLICA_La Croix_1926_04_04.pdf

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A la suite des articles parus dans la Croix de samedi dernier, nous avons reçu deux lettres l'une de M. Poizat, l'autre de M. Mauriac. Nous nous empressons de les publier; elles nous valent accidentellement des collaborations distinguées, mais surtout elles nous permettent de préciser encore plus, pour nos lecteurs, nos observations sur ce que l'on doit entendre par “littérature catholique”.

[…]
Lettre de M. Mauriac

A la suite d'une note parue dans la Croix de samedi dernier sur son Jeune Homme, M. F. Mauriac nous a envoyé la lettre suivante:

23 mars 1996.
Monsieur le Directeur,

Dans l'article que la Croix de samedi consacre à mon étude sur “le Jeune Homme”, je relève cette phrase “…D'ailleurs, je cherche dans ce livre les pages où M. Mauriac) nous décrit la sainteté, le renoncement, le sacrifice chez le jeune homme…”
Excusez-moi de me citer moi-même: “Comment les jeunes gens échapperaient-ils à ce dilemme: ou choisir, mais se diminuer –ou ne pas choisir, mais se détruire? Existe-t-il un choix qui ne diminue pas, un renoncement qui nous enrichisse? Ce fut le secret des mystiques. Quelques-uns dépensent leur force à cette victoire sur eux-mêmes. Voir dans la jeunesse l’âge de la sainteté n'est pas un paradoxe…, la pudeur est moins rare qu'on n'imagine dans l'adolescence masculine… Je me souviens, après l'armistice, de bals où des garçons farouches, encore harnachés pour la guerre, suivaient d'un œil grave les femmes demi-nues. C'est l'Hippolyte éternel que ta frénésie de Phèdre repousse... Voici l'époque où se prennent aisément les partis héroïques. J'ai vu à la Trappe de Septfons ou chez les Dominicains du Saulchoir, des novices adolescents; Dieu profite peut-être du temps de leur jeunesse pour attirer ceux qu’il a choisis… C'est dans l'adolescence que la chasteté paraît facile à quelques-uns... Dans le culte de Celle qui, humble vivante, petite fille du peuple, savait déjà que les générations la proclameraient bienheureuse, éclate surtout le penchant des hommes à chérir dans la femme un mystère de pureté…”
Je pourrais continuer ces citations. Celles qui ont paru dans la Croix ont leur sens faussé, faute de contexte. Voici un exemple: “En réalité, ce que M. Mauriac appelle, la bagatelle, c'est-à-dire l'amour sensuel, y apparaît comme la marque distinctive de son jeune homme et sa principale occupation…” Or, pour bien marquer que j’écrivais “ bagatelle” par antiphrase, je l'ai imprimé en lettres italiques. Tout le passage, d'ailleurs, ne laisse place, à aucune équivoque: “Un jeune homme bien né se trouve prémuni contre mille périls, sauf contre ceux qui naissent du désordre des mœurs. Sur ce terrain, sa passion naissante ne rencontre guère que des complices. Il n'est que la religion pour prendre au sérieux la bagatelle, pour prendre la chair au tragique… Qui oserait soutenir que c’est la religion qui rend l'amour mortel, et que, sans elle, il serait seulement délicieux?... Enseigne au jeune homme que ce ne saurait être l'arbitraire d'une doctrine qui impose au vice de volupté sa prééminence affreuse, etc.”
En beaucoup d'autres endroits je montre, de même, que je ne peins pas le jeune homme tel que je voudrais qu'il fut, mais tel que, hélas! il est trop souvent. J'ajoute que je n'ai jamais eu la prétention d'être un maître du renouveau catholique; je suis un catholique à qui est départi le don périlleux de créer. Il me semble que la Croix pourrait m'en indiquer les périls dans un esprit de charité. Je compte, Monsieur le Directeur, que vous voudrez bien, conformément à la loi, insérer cette lettre, et que je n'aurai pas besoin d'user de moyens qui, de vous à moi, me sembleraient regrettables, et je vous prie de trouver ici l'expression de mes salutations distinguée.

François Mauriac.


Les textes que cite M. Mauriac ne nous avaient pas échappé; et c'est précisément à cause d'eux que nous avons écrit que “M. Mauriac fait sans doute une place à Dieu” dans la formation du jeune homme. Il affirme avec raison que la religion aimée et pratiquée est une sauvegarde pour la pureté. Mais nous pensons et nous répétons que la place ainsi faite à Dieu et à la religion est insuffisante et même secondaire, quand on a lu auparavant dans le même livre, sous la signature du même M. Mauriac: “Nos jeunes amours ne nous ont-elles pas enrichis et instruits? Nos maîtresses ne furent-elles pas nos meilleurs maîtres? Il est vrai.” (P. 37J
Ce nous et ce il est vrai prouvent bien que ce n'est pas seulement en face d'une description objective que nous nous trouvons, mais d'une expérience personnelle et d'un jugement personnel de l'auteur.
Faire de la chasteté un renoncement qui est “le secret des mystiques”, c'est la réserver à une catégorie particulière de catholiques, tandis que le 6e et le 9e commandements l'imposent comme un devoir essentiel à tous les baptisés, fidèles à leur foi et au Décalogue. M. Mauriac ne l'a-l-il pas oublié quand, rejetant le précepte évangélique qui interdit de servir deux maîtres à la fois, il déclare que la jeunesse peut en servir un grand nombre, c'est-à-dire assouvir une multitude de passions sans perdre l'amour –c'est-à-dire la grâce– de Dieu? Si, par la chasteté, il faut immoler au 6e et au 9e commandement certains sens, pourquoi écrit-il que pendant la jeunesse “nous ne sommes condamnés à l'immolation d'aucune partie de nous-mêmes”? Eh oui! dans cette exubérance de la jeunesse, M. Mauriac met sur le même plan et trouve également légitimes “la débauche et la sainteté, la tristesse et la joie, la moquerie et l'admiration, l'avidité et le renoncement” (p. 10), et dit que, quand on choisit entre tout cela, on se mutile. L'Eglise catholique pense le contraire, si nous en croyons le catéchisme et le Décalogue.
Et voilà pourquoi nous maintenons notre note.

J. G.

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