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Le Sommeil des amants, pièce en quatre actes de M. Martial-Piéchaud, au Théâtre Antoine - L'École des amants, pièce en trois actes de M. Pierre Wolff, au théâtre des Nouveautés - La Dette de Schmill, pièce en deux actes de M. Alexandre Orna - Le Cadi et le Cocu, un acte de M. Pierre Mille, à l'Œuvre

Référence : MEL_0717
Date : 24/03/1923

Éditeur : Revue hebdomadaire
Source : 32e année, n°10, p.496-499
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Chronique dramatique
Version texte Version texte/pdf Version pdf

Le Sommeil des amants, pièce en quatre actes de M. Martial-Piéchaud, au Théâtre Antoine - L'École des amants, pièce en trois actes de M. Pierre Wolff, au théâtre des Nouveautés - La Dette de Schmill, pièce en deux actes de M. Alexandre Orna - Le Cadi et le Cocu, un acte de M. Pierre Mille, à l'Œuvre

Madeleine, au lendemain de ses noces, fut abandonnée par son mari, Louis de Noriac, qui ne voulait que la dot. Pour bien comprendre le sens de ce drame, il faut d'abord faire attention à ceci qu'il s'agit d'une presque jeune fille qui, après quarante-huit heures de mariage, devant son bonheur détruit, garde encore l'idéalisme d'une pieuse enfant; rien ne lui paraît si simple que de se dépasser soi-même, elle est incapable de transiger au point de ne vouloir plus connaître son père dont l'unique crime fut d'épouser une maîtresse. La maison paternelle étant ainsi fermée à l'abandonnée, elle s'établit à Cherbourg sous un faux nom et y donne des leçons de chant. Dans sa paisible maison habite un jeune veuf, Jean Meyriel, avec qui elle fait de la musique, et qui la croit veuve; et naturellement ils s'aiment. Mais le mari annonce son brusque retour. C'est le soir de Noël. Madeleine, d'hôtel en hôtel, va à sa recherche. Les soupçons de Jean Meyriel, les insinuations d'une femme méchante, l'angoisse de Madeleine redoutant la rencontre des deux hommes, l'arrivée enfin de cet époux faussement repentant et dont elle a tôt fait de pressentir l'infamie, le débat dans ce cœur si religieux entre son amour et le devoir qui l'attache indissolublement à un autre, tout cela compose l'atmosphère de ce premier acte, pathétique sans faux éclat et où s'accomplit tout l'espoir que nous avait donné Mademoiselle Pascal.

Madeleine se consacre donc au salut de l'homme à qui elle se sait liée pour l'éternité. A cause de lui, elle se réconcilie avec son père et pousse l'héroïsme jusqu'à résister au désir de celui-ci qui souhaiterait qu'elle divorçât pour épouser Jean Meyriel. Certes, elle reste fidèle en secret à cet idéal amour; elle s'étendra en esprit aux côtés du bien-aimé, séparée de lui, comme Iseut de Tristan, par une épée nue. Mais le mari, dans une scène tragique, découvre le fond de son âme boueuse et va jusqu'à vouloir salir la mère de Madeleine. C'en est trop: la jeune femme s'enfuit, cherche le refuge du petit appartement de Cherbourg et surtout un cœur bien-aimé. Elle ne résiste plus: il y a une limite à l'héroïsme. Que Jean lui ouvre donc les bras... Si M. Martial-Piéchaud l'avait voulu, il aurait par cet heureux dénouement enchanté son public. Il a mieux aimé demeurer fidèle à ce culte secret du sacrifice, de l'immolation qui est la marque d'un cœur catholique. Madeleine apprend donc que Jean écarté par elle s'est fiancé à une jeune fille. Ce ne serait qu'un jeu de le reconquérir. Mais elle ne consent pas à ce qu'une autre souffre à sa place. Elle choisit de souffrir seule.

Tel est le drame si émouvant qui a obtenu au théâtre Antoine le plus vif succès. C'est un drame de la vie intérieure. Les héroïnes de M. Martial-Piéchaud, parmi celles de ses confrères, paraissent étranges et presque incompréhensibles. Elles n'ont rien des “garçonnes”. Ce sont, à la lettre, des héroïnes. Non seulement le plaisir ne leur est pas tout, mais non plus le bonheur. Elles croient à la pérennité du lien sacramentel et la fidélité est leur vertu profonde. Pourquoi seraient-elles moins réelles que les “garçonnes”? M. Martial-Piéchaud n'invente pas de toutes pièces ces héroïques filles. Provincial et bourgeois, il peint ce qu'il a su voir. Il a pour lui le don d'émotion et celui de créer l'atmosphère, ce qu'il faut pour devenir un dramaturge admirable. Sa faiblesse, dont il se corrigera, est une technique un peu vieillie; des moyens qui ont été habiles, mais qui ne le sont plus. C'est sur ce point que M. Martial-Piéchaud doit porter son effort et sa recherche. Les dons qu'il possède lui permettent de plaire à coup sûr quand il ne cherche pas trop à plaire. Son style gagnerait aussi, en quelques endroits, à plus de simplicité. Le langage doit être d'autant moins noble que le sont plus les sentiments exprimés: des cœurs sublimes mais sans paroles sublimes.

Ces imperfections n'enlèvent rien au plaisir que nous a donné une des meilleures pièces de la saison. Mme Marthe Régnier y a montré une force de passion et une ardeur contenue que nous ne connaissions pas à Miquette et à la Petite l'exquise Chocolatière. Son rôle du Sommeil des amants sera une date dans la carrière de cette grande artiste. MM. André Dubosc et Rollan sont parfaits. M. Charles Boyer affirme dans chacun de ses rôles un peu plus de maîtrise: c'est l'un des grands acteurs de demain.

Nous avons délégué un camarade plus jeune et plus enthousiaste à l'École des amants de M. Pierre Wolff; il en est revenu enchanté. C'est, nous assure-t-il, un dialogue charmant, très amusant, plein d'esprit et de mouvement. M. Cossé le Vivien a soixante ans. Vieil amoureux vert-galant, roulé par les femmes depuis sa jeunesse, il continue de l'être. Il est veuf et a un fils Georges qui, ayant mangé la fortune de sa mère, voudrait bien continuer avec l'argent paternel. M. Cossé le Vivien refuse. Après quelques hésitations sur le choix d'une carrière, Georges monte une agence de renseignements et de conseils intimes aux maris trompés et aux femmes indécises. Bien entendu, le père et sa dernière maîtresse viennent en consultation dans son cabinet où l'aide une dactylographe mûre, mais pure. Parmi les clientes, une jeune Anglaise (qu'elle est ravissante, Mlle Irène Wells qui joue ce rôle !) — (je laisse à mon camarade la responsabilité de cette parenthèse) —une jeune Anglaise, après avoir demandé des conseils au fils, le rendra lui-même amoureux grâce à ses directions, mais, à la fin de la pièce, préférera le père. Naviguant entre eux, un bijoutier juif, M. Lévy-Lévy, est très amusant. Juif? il ne l'est plus: un matin il a décidé avec sa femme de devenir libre penseur. Lui aussi sera roulé par la première venue, comme tous d'ailleurs, et ce sera la morale mélancolique de cette histoire.

L'Œuvre a repris la Dette de Schmill de M. Alexandre Orna où l'on voit une pauvre famille juive exploitée par un méchant chrétien qui profite d'une traite qu'il a sur Schmill pour lui prendre sa fille et la déshonorer.

Il y a dans le Cadi et le Cocu la matière d'un de ces contes que M. Pierre Mille, comme Pedro, conte si bien. Peut-être au théâtre l'intrigue paraît-elle un peu mince. Un Turc cumule les deux fonctions énoncées dans le titre. En tant que cadi, il juge les femmes adultères et prodigue des consolations à ses confrères (non pas les cadis, les autres); l'un d'eux vient justement demander le divorce et le cadi lui prêche la résignation et le pardon. Mais lorsque la coupable comparaît devant lui, il reconnaît l'ancienne épouse toujours chérie et qui a tôt fait de le reprendre. Lutte dans le cœur du cadi entre le devoir et la passion. Pierre Mille, comme Pierre Corneille, assure le triomphe du devoir. Cette jolie turquerie, où s'exprime la sagesse d'un disciple de Jérôme Coignard, paraît avoir beaucoup plu.

La charité me fait un devoir de taire mon sentiment touchant quelques pièces de jeunes auteurs à qui des “compagnies” rendent un bien mauvais service en jouant leurs ouvrages. L'inexpérience et la prétention ne sauraient suffire à leur conférer de l'agrément. Il y a cependant plus que des promesses dans le Plaisir d'être méchant de M. André Lang. — Nul doute que sa prochaine comédie nous donne l'occasion d'être aimable.

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François MAURIAC, “Le Sommeil des amants, pièce en quatre actes de M. Martial-Piéchaud, au Théâtre Antoine - L'École des amants, pièce en trois actes de M. Pierre Wolff, au théâtre des Nouveautés - La Dette de Schmill, pièce en deux actes de M. Alexandre Orna - Le Cadi et le Cocu, un acte de M. Pierre Mille, à l'Œuvre,” Mauriac en ligne, consulté le 26 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/717.

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