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Souvenir de Pâques

Référence : MEL_0795
Date : 08/05/1936

Éditeur : Sept
Source : 3e année, n°115, p.2
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
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Souvenir de Pâques

Dans ce village du Valois où aucun prêtre né réside, à la messe de Pâques, soixante-dix personnes avaient tout de même communié. Au ras des labours, la brume verte du blé en herbe paraissait aussi légère que celle qui monte le soir des prairies. La même fumée teintée par la sève marquait l'orée de ce bois à l'horizon. La proue du petit cimetière, ancré en pleine glaise, recevait le soleil: les morts connaissaient le printemps.
Les enfants écartaient les feuilles sèches et criaient de joie: “Une morille!”, et je regardais en haut du champ, profilés sur le ciel, trois grands lièvres que j'avais d'abord pris pour des chiens.
Le vent frais et vif était celui que les poètes appellent zéphir; je gonflais ma narine et d'abord ne lui trouvais pas d'odeur, car le vent du Valois paraît fade au Landais accoutumé à ces souffles que la résine sature, jusqu'à ce que j'y eusse discerné le parfum candide, un peu amer, des fleurs de pommiers et de poiriers épanouies dans le bleu glacé et qui, à l'aube peut-être, mourraient de froid.
Des alouettes ivres s'épuisaient invisibles dans le blé en herbe et dans la lumière.
Or, à six lieues de la campagne bienheureuse, commençait cette lèpre: Aubervilliers, l'asphalte, la pierre de ce tombeau si souillé qu’un Dieu même hésiterait à la soulever. Ces trois lièvres, dont les oreilles bougeaient sur le ciel, auraient pu atteindre en quelques bonds la porte de la Villette. Ils sautaient doucement à l'aube du monde, pareils aux premiers nés de tous les lièvres, à peine sortis des mains de l'Amour, eût-on dit, tant ils paraissaient paisibles; et ils ne savaient pas encore que l’homme hait leur vie comme il hait toute vie.
Durant le temps pascal, le visage de Dieu embrase visiblement la création, et c’est pourquoi le poète, sans blasphème, peut écrire: Le printemps adorable..., car l'Amour rayonne à travers la nature, le Paradis perdu renaît sous les yeux du pécheur comme si le geste du pardon qui avait ressuscité son âme avait du même coup recréé le monde; la face de la terre est renouvelée avec ce pauvre cœur. On songe au cri de Rimbaud: “Le monde est bon; je bénirai la vie…”
Des vertus brillent au front de la nature aveugle et sourde: l'azur devient chaste, la lumière pleine de tendresse, les vergers candides; et au crépuscule, ce grand arbre sombre tout frémissant d’oiseaux est une prière avant le sommeil.

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François MAURIAC, “Souvenir de Pâques,” Mauriac en ligne, consulté le 26 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/795.

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  1. MICMAU_Sept_1936_05_08.pdf