Le Cauchemar dissipé
Date : 07/10/1938
Éditeur : Temps présent
Source : 2e année, n°47, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
Le Cauchemar dissipé
Je sais bien que nous nous réveillerons de cette joie et qu’au delà de ce grand mur de Versailles abattu par le poing allemand, une route inconnue s’ouvre pour nous, pleine d’embûches.
Mais il reste que la guerre a reculé et que la Bête a été maîtrisée dans le moment même où elle s’apprêtait à bondir.
La volonté de quelques hommes a été la plus forte: quelques hommes, des démocrates. Ils n’ont eu recours à aucune des idoles qu’on a coutume d’attribuer aux démocraties. Ils n’ont brandi aucun mot à majuscule. Ils n’ont parlé ni de Droit, ni de Justice. Ils ont été humains, simplement.
Peut-être même ont-ils réveillé, dans des adversaires en apparence sans entrailles, une émotion, un remords obscurs, une pitié pour ces millions d’enfants des hommes déjà en marche, docilement, vers la boucherie…
Qu’elle nous touche, la joie délirante de ces pauvres peuples dociles! La même joie à Berlin, à Paris et à Londres! La même impuissance à se haïr! Oui, la guerre, en ratant ce dernier bond, nous aura révélé cette unité de la famille humaine.
Mais ici, notre tâche sera dure: Déjà les partis se défient, se demandent des comptes les uns aux autres.
La guerre règne toujours et plus que jamais dans les cœurs et dans les esprits.
Dès demain nous recommencerons donc notre effort. Pour aujourd’hui, nous avons le droit de respirer, de bénir Dieu, d’écouter nos enfants faire des projets, de regarder leurs poitrines intactes et leurs mains qui n’ont pas versé le sang.