Le Bon Samaritain
Date : 19/04/1940
Éditeur : Temps présent
Source : 4e année, n°125, p.1
Relation : Notice bibliographique BnF
Type : Billet
Le Bon Samaritain
Catholique, je n'éprouve aucune gêne à déclarer que la lettre du fameux théologien calviniste Karl Barth à ses coreligionnaires français (et qu'a publiée la revue Esprit) m'a apporté la parole dont, ces jours-ci j’avais besoin: la parole d'un chrétien qui d'ailleurs ne prend pas parti entre des belligérants, sur le plan politique.
Originaire de Bâle, mais professeur de théologie à Bonn, Karl Barth évangélisait l’Allemagne depuis des années, lorsque Hitler, le persécuteur de la foi, l’obligea de se réfugier en Suisse. Son amitié pour le peuple allemand éclate à toutes les lignes. Il le plaint: Luther est responsable à ses yeux d'avoir renforcé le paganisme sauvage de cette race germanique dont la capacité de souffrance l’émeut, et même l'attendrit.
Rien en revanche ne manifeste qu’il nourrisse un penchant particulier pour la patrie de Calvin (bien que j'aie été frappé, moi, romancier, de l’intérêt qu'il attache, dans une de ses conférences, au témoignage d’Honoré de Balzac).
Donc, nul parti pris de principe en faveur des Alliés. Mais ce grand chrétien dit ce qu'il vois: entre les nations aux prises, il se prononce pour celles où subsiste un reste de liberté religieuse et où la prédication de l'Evangile demeure possible.
Rien que cela, direz-vous? J’estime que c’est que c'est beaucoup pour nous, catholiques français, accoutumés au silence des hautes sphères, et qui n'avons pas l'idée de nous en plaindre, sachant (selon la formule consacrée) qu'il y a de grands intérêts en jeu. Mais lorsqu'un frère séparé de race allemande, et d'une admirable foi, reconnaît que nous nous battions “pour ce qui est plus précieux que la vie”, ce témoignage me réconforte, je l’avoue.
Il ne faut pas en demander plus à un théologien, non certes désespéré, mais qui n'accorde presque rien à notre nature, et qui est indiciblement pénétré de la détresse infinie de l’homme en face de son Seigneur.
Le jour où Hitler, enfin sera vaincu, Karl Barth admirera sans doute que la justice de Dieu se serve du péché pour vaincre le péché... N'importe! il restera pour nous le pasteur qui, rappelait le: “il faut en finir” du président Daladier, a ajouté: “tout chrétien qui a vécu consciemment ces années ne peut que dire Oui et Amen à une telle déclaration”.
Et sans doute n'est-ce là qu'une goutte d'eau: mais telle est notre soif de justice, nous en sommet tellement altérés, que tout de même nous crions merci à ce sombre Samaritain.