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Pages de Journal

Référence : MEL_0975
Date : 15/04/1939

Éditeur : Vaincre
Source : 6e année, n°7, p.2-3
Relation : Notice bibliographique BnF

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Pages de Journal

Il arrive à tout homme engagé dans les discussions de la vie publique, et exposé à ses remous, de soupirer les vers de Victor Hugo:

“Je me suis étonné d’être un objet de haine
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé”.

En vérité, ce n'est pas d'être un objet de haine que nous devrions être surpris, mais d'être un objet d'amour. Ce qui dans chacun de nous mérite la détestation, qui le saurait mieux que nous-même? D'ailleurs nos adversaires nous irritent le plus souvent moins par l'antipathie qu'ils manifestent, que par les raisons qu'ils en donnent. Presque jamais ils ne nous touchent au bon endroit. Ce qu’ils dénoncent en nous, en le déformant au gré de leur polémique, c'est quelquefois ce qui correspond au meilleur de nous-même. Nous accepterions mieux les injures si elles touchaient juste.
Il nous reste d'opérer un transfert, et de justifier les plus injustes reproches en songeant à tel ou tel point secret sur lequel nul ne nous attaque et où nous serions pourtant si vulnérables.
Mais surtout, nous ne pensons pas assez à cette autre forme de l'injustice: celle dont nous ne pâtissons pas, dont nous avons au contraire le bénéfice et qui est l'amitié et l'amour dont nous sommes entourés et comblés. Si quelques-uns travestissent nos intentions et détournent de leur sens nos paroles et nos écrits pour nous en accabler, d'autres ont un parti-pris de ne voir de notre œuvre et de notre vie que ce qui donne de nous-même la plus haute idée.
Je n'aurai pas d'ailleurs le courage de m'en plaindre ni de les en blâmer. Je crois qu'il est excellent qu'un homme qui subit beaucoup d'attaques ait en revanche le bonheur d'être traité avec une partialité tendre par des chrétiens qui se trouvent être justement parmi les plus pieux et les plus proches du Christ.
Mais j’aime que leur partialité soit lucide et que, sans être aveugles, ils détournent les yeux de cette déficience, qu'ils mettent délibérément l'accent sur ce qu'ils jugent digne d'être aimé et admiré dans l'œuvre qui leur est chère.
Ces quelques lignes de préface à un cahier du “Cercle Dante” que quatre jeunes gens m'ont fait l'honneur de me consacrer témoignent exactement de l'état d'esprit que je souhaite de trouver dans mes amis: “Nous n'avons pas cherché dans ce cahier à mettre en valeur les limites et les déficiences de son œuvre. Ce travail pourrait être fait, mais les polémiques sont encore trop brûlantes, les esprits trop agités, pour qu'il pût être accompli avec fruits. De plus trop peu de gens, pour des raisons de parti-pris la plupart du temps, se sont donnés la peine de saisir dans son ensemble le message qu'il apporte. Notre rôle a donc été d'aider à cette compréhension et pour cela nous avons écarté toute critique, pensant que la sympathie est le seul moyen de pénétrer la pensée d'un auteur, d'entrer en communication avec lui...”
Un homme est heureux qui, s'il avait à choisir ses amis et ses adversaires, n'en choisirait pas d'autres que ceux que les circonstances lui ont suscités. Je remercie Dieu, à ce tournant de ma vie, de m'avoir donné ce bonheur, et de m'avoir réservé une place dans beaucoup de cœurs où Sa grâce habite et où je me trouve tout près de Lui, même aux heures où je m'en crois le plus éloigné.

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François MAURIAC, “Pages de Journal,” Mauriac en ligne, consulté le 26 avril 2024, https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/975.

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  1. BnF_Vaincre_1939_04_15.pdf