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Cinquantenaire du Sillon La rencontre avec Marc Sangnier

BnF_L'Aube_1945_01_31.pdf

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Ce dont je serai toute ma vie reconnaissant à Marc Sangnier c'est d'avoir donné à l'enfant bourgeois que j'étais une mauvaise conscience. A cause de lui, je suis devenu ce fils de roi qui ne croit plus ou droit divin dont se réclamaient ses pères. Notre rencontre, en apparence, avait été un ratage: aucune étincelle ne pouvait jaillir entre le jeune tribun catholique, adoré de toute une jeunesse, un peu enivré il me semble, en qui reposait alors l'espoir d'une partie de l'Eglise, et ce petit provincial de dix-huit ans, fou d'orgueil intellectuel, mais solitaire et paralysé par une humilité désespérée, qui demandait à Barrès (ou Barrès de Sous l'œil des Barbares et de L'Homme Libre) une attitude de défense contre “les autres”, un secret pour dominer la vie.
Je me rappelle, dans la maison de mes grands-parents, à Langon, après une admirable conférence où il avait tenu tête à une meute anticléricale, cette lecture que nous fit Sangnier de son drame Par la Mort. Par bravade et très conscient de dire exactement ce qui pouvait me perdre à jamais dans l'esprit du jeune chef sillioniste, je déclarais d'une voix étranglée que “ça manquait de femmes...”. Je n'oublierai jamais le regard et le sourire de “Marc”. Toutes ces irritations, ces menus froissements, s'exprimèrent dans mon premier roman, L'Enfant chargé de chaînes, si puéril, et dont je m'étonne qu'il trouve encore des lecteurs.
Je fus essentiellement, au Sillon, ce qu'on appelait: “Le type qui ne pige pas”. Mais, sans le savoir, j'avais reçu de Marc Sangnier une empreinte profonde. Peut-être m'a-t-il beaucoup plus marqué que tel de ses fidèles “qui pigeait”. Et même du point de vue littéraire: car eussé-je réagi aussi violemment aux ridicules de mon milieu et à l'injustice de ma classe si je n'avais respiré l'atmosphère du Sillon?
Il y a quelques années, je me souviens d'une cérémonie, à Notre-Dame, qui réunissait les groupements de la jeunesse catholique parisienne. Perdu dans cette foule immense, je reconnus Marc Sangnier. Avec quelle émotion je le regardai prier, ce bon ouvrier de la première heure qui avait subi toute la chaleur des jours orageux! Autour de lui, ces milliers d’épis vivaient et frémissaient… Mais la moisson ne connaît pas le semeur.

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